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Remonter aux sources

 

L'origine du poisson d'avril intrigue encore de nos jours, d'autant que les hypothèses semblent aussi farfelues que les coutumes elles-mêmes. Certains la font remonter à l'Antiquité, d'autres au Moyen Âge et d'autres, à la Renaissance.

L'expression «poisson d'avril» a été retracée dans des documents antérieurs à 1564, ce qui atteste une origine plus lointaine. Une autre expression, immortalisée dans la deuxième moitié du XVIe siècle dans un poème de Ronsard, lui est associée. «Poisson de caresme» fait allusion au fait de manger du poisson pendant le carême, cette période de quarante jours de pénitence où il fallait faire maigre et jeûne. Comme la date du 1er avril devait souvent se trouver pendant cette période, on comprend l'allusion au poisson. Ce ne serait qu'au XVIIe siècle par contre qu'on prit l'habitude d'associer les plaisanteries du poisson d'avril au premier du mois car on aurait perdu entre-temps l'origine de l'expression.

Le poisson en général acquit une mauvaise réputation du fait qu'en certains endroits il se retrouvait trop souvent sur la table. Quelques proverbes d'ailleurs témoignent de ces aspects négatifs: Poisson fait poison ; Après poisson, noix en poids (estime) sont ; Hareng donné à l'homme grand tourment ! ; Si hareng put c'est nature, si fleure bon c'est aventure ! Certains se sont aussi penchés sur l'existence d'une espèce de poisson qui aurait pu être à l'origine de l'expression poisson d'avril. En Europe, le hareng connut une réputation semblable à cause de son prix modique mais l'arrivée d'un nouveau poisson, le maquereau, pêché spécialement de la fin mars au début avril, a sans doute contribué à rendre l'association plus vraisemblable. Pauvre maquereau ! On lui fit endosser tous les maux et il en vint à symboliser un entremetteur et un mauvais garçon. Aussi, l'expression «c'est un poisson d'avril» s'est étendue à toute plaisanterie ou toute mystification, peu importe le jour de l'année.

Le poisson d'avril pourrait donc avoir un lien avec la saison de la pêche qui débute autour du premier avril dans certains pays d'Europe. Cette hypothèse, bien que contestée par des historiens n'ayant trouvé dans les documents aucune mention de l'ouverture de la pêche à cette période de l'année, a permis de faire une transposition: comme l'on croyait qu'à ce moment de l'année la pêche était infructueuse (cela correspondait plus ou moins à la période du frai), certains y ont vu une occasion «d'attraper les gens» à défaut d'attraper du poisson. D'où l'expression: «Tous les poissons ne sont pas dans l'eau !». On prétend que cette coutume serait d'origine française et que l'usage se serait répandu en Italie au milieu du XIXe siècle. De la France, elle aurait été transportée en Angleterre puis en Allemagne aux deux ou trois derniers siècles, et enfin en Pologne au XVIIe siècle. La coutume ne fait pas partie des traditions de l'Espagne et du Portugal, mais on observe des faits semblables dans ces pays autour du 28 décembre.

D'autres font remonter l'origine du poisson d'avril à une ancienne coutume juive qui consistait à renvoyer d'une personne à une autre quelqu'un dont on voulait se moquer. C'est ce qui serait arrivé à Jésus-Christ lors de son jugement. Arrêté la nuit du 2 ou 3 avril, les Juifs l'auraient promené d'un tribunal à l'autre, passant de Anne, grand prêtre des Juifs à Hérode, de Hérode à Pilate, puis à Caïphe pour enfin retourner devant Pilate qui s'en lava les mains, selon l'évangile de Saint-Jean (La Sainte Bible, 1956: 100). Dans l'histoire religieuse, ce périple, nommé la Passion de Jésus-Christ, est marqué par une promenade sinueuse entre le pouvoir religieux et le pouvoir civil. L'expression populaire passer de Caïphe à Pilate tire sa signification de cet épisode. Certains croient, en vertu de cette hypothèse, que le mot «poisson» ne serait qu'une déformation du mot «Passion» et que de là viendrait l'usage de se moquer de quelqu'un en lui faisant courir le poisson d'avril.

Un peu d'histoire

Au Moyen Âge, il était d'usage de jouer des «mystères» sur la place publique, un genre théâtral où l'on mettait en scène des moments de la vie de Jésus ou des sujets religieux. L'épisode de la Passion fut sans doute un moment particulièrement prisé. Il a d'ailleurs été repris récemment avec le même esprit dans le film québécois Jésus de Montréal où la Passion était jouée sur le Mont-Royal. Or, comme certains y ont vu une occasion de parodier la passion du Christ, le fait de renvoyer de l'une à l'autre une personne que l'on souhaite ridiculiser ou faire marcher viendrait peut-être de ce jeu théâtral par analogie.

Tout aussi douteuse, l'hypothèse suivante tient plus de la légende. On raconte que François 1er, duc de Lorraine, fut fait prisonnier de Louis XIII (plus probablement Louis XV) et qu'il s'échappa à la nage un premier avril du Château de Nancy où il était gardé, «ce qui aurait fait dire aux Lorrains que c'était un poisson qu'on leur avait donné à garder» (Laliberté, 1980: 81). Cette anecdote se situerait dans la première moitié du XVIIIe siècle et serait liée aux événements de la guerre de Succession de Pologne qui valut la Lorraine à la France.

L'hypothèse que l'on mentionne habituellement comme la plus plausible est celle du Roi Charles IX qui aurait restitué en 1564 le 1er janvier comme premier jour de l'année. À cette époque, il semble que c'était le 1er avril qui marquait le début de l'année, fixé d'après le christianisme au premier jour du mois le plus près de Pâques, jour de la Résurrection. Par ailleurs, le calendrier Romulus qui commençait par le mois de mars explique le fait que dans notre calendrier actuel les mots septembre (septième), octobre (huitième), novembre (neuvième) et décembre (dixième) soient restés. Comme au premier jour de l'an, il était coutume d'échanger des étrennes. Cette habitude se transposa au 1er janvier grâce à Charles IX, mais on suppose que certaines personnes s'accommodaient mal de ce nouveau régime et qu'elles continuèrent à donner de faux cadeaux ou des cadeaux burlesques au premier avril en rappel des étrennes, ce qui aurait donné lieu aux facéties du poisson d'avril.

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