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De coutume en culture

L'usage de se mystifier les uns les autres le premier avril semble bien ancré dans les habitudes des Québécois. Cet aspect humoristique des coutumes revient à l'occasion de plusieurs fêtes. Pour souligner le premier avril, on retrouve trois catégories de plaisanterie: accrocher des poissons de papier au dos de quelqu'un à son insu, envoyer des cartes anonymes et faire courir le poisson.

Il est toujours amusant de voir quelqu'un se promener sur la rue ou dans un édifice public avec un poisson de papier placardé au dos. C'est le tour préféré des plus jeunes qui s'amusent à accrocher des poissons à l'insu des personnes, souvent au dos de leurs parents ou de leur professeur. Anodine, cette coutume pourrait remonter à l'Antiquité.

Chez les Romains, le mois d'avril était consacré à la déesse Vénus, qui est née de l'écume de la mer selon la mythologie, d'où son association au poisson. Une grande fête en l'honneur de la déesse ouvrait les festivités du mois à laquelle étaient conviées les mères du Lathium, les jeunes épouses et toutes les courtisanes. «Le Jour des Aphrodisies, les adeptes de Vénus Aphrodite ont adopté le poisson comme emblème. Les courtisanes qui se rendaient au temple de la déesse subissaient toutes sortes d'avanies: on les barbouillait "de suie" et on attachait à leur robe des morceaux d'étoffe ou de cuir en forme de poisson.» (Rodrigue, 1983: 97) Aujourd'hui, la coutume s'est quelque peu transformée pour conserver le seul côté humoristique.

Tout comme l'envoi de valentins anonymes, la coutume d'envoyer des cartes non signées le jour du premier avril a eu cours au Québec au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Achetées chez les libraires, ces cartes humoristiques avec des représentations de poisson étaient destinées à faire rire et à se moquer. Il arrivait aussi qu'on envoie un simple poisson de papier dans une enveloppe. Parfois l'expéditeur dévoilait son identité au cours de l'année mais le plus souvent le destinataire restait dans le doute. Il était aussi d'usage que les garçons envoient à leur fiancée une carte à l'occasion du premier avril accompagnée d'un cadeau en forme de poisson. Comme le premier du mois d'avril survient parfois pendant le temps de sucres, on a retrouvé au Québec parmi les accessoires utilisés dans cette production artisanale plusieurs moules à sucre ayant une forme de poisson.

La coutume de faire courir le poisson d'avril peut prendre diverses formes mais règle générale, il s'agit de faire marcher quelqu'un en l'envoyant chercher un objet inexistant, en lui donnant une mission impossible ou encore en jouant un tour dont l'objet se rapporte à la thématique du poisson. Le tour est réussi lorsque la personne a mordu, c'est-à-dire qu'elle s'est fait prendre au jeu. Plusieurs types de tours sont envisagés, des plus spontanés à ceux planifiés de longue date. Lorsqu'on réussit à faire courir un vrai poisson ingénieux, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre et l'année suivante on en reparle généralement encore. S'il est des mystifications stéréotypées refaites d'années en années, certaines sont plus originales et rivalisent en imagination.

Parmi les tours classiques, on compte les fausses indications, les fausses convocations, les fausses informations de type canular divulguées entre autres à la radio et à la télévision, les faux messages au téléphone, les fausses commandes et les fumisteries générales.

Fausses indications

Quelqu'un s'écrie «Regarde donc l'oiseau !» et si l'autre se retourne pour regarder, on lui dit «poisson d'avril !». Il n'y a évidemment pas d'oiseau. Même scénario simpliste pour faire regarder un veau qui a deux têtes et une queue de poisson, ou encore: «Y'a d'l'eau dans la cave et ça grouille» ou bien «Tu perds quelque chose». À chaque fois, on risque de se faire dire «poisson d'avril !» Ces mystifications sont beaucoup exploitées par les enfants.

Fausses convocations

Une amie se dit malade et appelle quelqu'un à son chevet prétextant avoir besoin de médicaments ou de soins ce qui entraîne un déplacement inutile.

Envoyer l'entrepreneur de pompes funèbres chercher un prétendu mort au domicile de quelqu'un qui ne l'est pas.

Convocation de personnes le même jour à la même heure chez les uns et les autres de sorte que personne n'est au rendez-vous.

Donnez rendez-vous à une adresse qui n'existe pas ou au sous-sol d'un bâtiment qui n'en comporte pas.

Fausses informations médiatisées (canulars)

Ce sont les poissons d'avril préférés des Français:

«Assez régulièrement, il est dit que la tour Eiffel serait démontée. Il a été affirmé qu'un décret promulguait l'obligation d'avoir deux roues de secours dans sa voiture. (...) Une autre année, un journaliste informe que les virages à gauche s'avérant difficiles à négocier, le réseau routier ne comporterait dorénavant que des virages à droite.» (Corric, 1985: 95)

Au Québec, les médias ne donnent pas non plus leur place. L'an dernier, un poste de radio fit croire que des acériculteurs de la Beauce étaient prêts à acheter de la neige dans la région de Québec à raison de 20,00$ le voyage car ceux-ci n'en avaient plus pour la saison de sucres. Les gens téléphonaient à la station de radio pour dire de venir chercher la neige dans leur cour, même gratuitement. Après deux jours, l'animateur radio du matin dévoila la supercherie et exhorta les auditeurs de ne plus téléphoner.

Faux messages au téléphone

Des plus simples...

La personne décroche, répond et elle se fait dire: «Gardez la ligne» en allusion à une ligne de pêche ou «Gardez la ligne, est-ce que ça mord?» et si la personne s'en rend compte et raccroche le combiné, on la rappelle pour lui dire «poisson d'avril !».

Dans les bureaux, il n'est pas rare de trouver une note demandant de rappeler Monsieur Poisson ou Monsieur S. Turgeon avec un simple numéro de téléphone. À Québec, la réceptionniste de l'Aquarium de Québec ne compte plus les retours d'appel le premier jour d'avril par des victimes du poisson d'avril. Cette blague est reconnue pour en attraper plusieurs à chaque année. Les gens trouvent une note demandant de rappeler à un numéro sans savoir à quel abonné il correspond.

... aux plus élaborés

Un employé municipal téléphone chez lui pour signaler à sa femme un bris de tuyaux au village et lui demande de faire provision d'eau potable autant qu'elle peut. Celle-ci remplit plusieurs contenants et dans sa générosité, téléphone à quelques voisines pour leur transmettre cette information privilégiée. Son mari la rappelle quelque temps après et lui demande de vérifier s'il n'y a pas un poisson dans l'un des contenants.

Fausses commandes

Parmi ce type de blagues, on retrouve des livraisons qui arrivent chez un destinataire sans qu'il ait commandé quoi que ce soit, comme cette résidente de la Grande-Allée à Québec qui avait reçu à sa porte un cortège de voitures qu'elle n'avait pas demandé elle-même. Les taxis n'eurent d'autre choix que de s'en retourner, faute de client.

Fumisteries

Cette dernière catégorie de plaisanteries en a fait mordre plus d'un, naïf, enfant ou apprenti. La blague consiste simplement à envoyer quelqu'un qui n'est pas sur ses gardes chercher un objet inexistant. Qui n'a pas entendu parler de la corde à virer le vent, du bâton sans bout ou encore de l'esprit en bouteille? Ces objets, tous plus farfelus les uns que les autres, font des victimes idéales dans les milieux de travail souvent reliés à un métier ou dans les milieux de loisir. Ainsi, chez les menuisiers ou charpentiers, on envoie les apprentis chercher une «varlope à renfler le bois» ou «une mèche pour percer des trous carrés», alors que dans le milieu des imprimeurs, c'étaient «des espaces italiques» qu'on demandait au dernier entré de rapporter.

Une anecdote provenant d'un collège classique au Québec raconte que les élèves avaient envoyé l'un des leurs, plus faible en mathématique, emprunter l'hypoténuse du professeur. Restée célèbre, l'anecdote a donné lieu à l'expression «chercher son hypoténuse» qui signifie «ne pas avoir l'air intelligent».

En Acadie, l'expression consacrée est «faire pêcher le poisson d'avril». On a trouvé une mention d'un tour du même type: «Envoyer quelqu'un qui ne sait pas lire porter chez le voisin un papier sur lequel on écrit : Faites-le mordre». Le voisin, en voyant le mot écrit, dira plutôt: «J'en n'avons pas; aller chez un tel» (Chiasson, 1961: 215). Le stratagème continuera ainsi de suite jusqu'à ce que la victime se rende compte qu'on se moque d'elle.

Après cette description des tours et attrapes, il vaut mieux se surveiller et être aux aguets le jour du premier avril si on ne veut pas se faire prendre comme un poisson à l'hameçon. Au Québec, comme en France, la coutume ne dure heureusement qu'une journée! En Acadie, les mêmes tours peuvent aussi se répéter le 30 du mois d'avril tandis que dans d'autres pays, les plaisanteries durent tout le mois. Si tous les moyens sont bons pour se moquer des uns et des autres le premier avril, il faut aussi prendre garde de ne pas dépasser certaines limites. Bref, comme le dit si bien le dicton: «Au moment où commence avril, il faut avoir l'esprit subtil.»

Si le goût vous prend de faire courir le poisson, voici une liste d'objets farfelus qui ont tous déjà fait des victimes. À vous de choisir! Ayez soin de vous faire complice avec quelques-uns de vos amis au préalable car l'idée est de faire passer la victime d'une personne à une autre jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle a mordu à l'hameçon. Vous pourriez ainsi envoyer quérir :

Quelques suggestions...

Au prochain premier avril, faites-vous plaisir et organisez votre journée sur le thème du poisson et sous le signe de l'humour. Constituez vos appâts sur mesure et tentez d'attraper quelqu'un de votre entourage. Au téléphone, c'est plus facile!

Voici quelques idées à réaliser si vous bricolez. Vous pouvez décorer une ou deux fenêtres de votre logis en faisant pendre du plafond des poissons confectionnés par vous de manière à reconstituer un aquarium vu de l'extérieur de votre maison. Choisissez des fenêtres visibles de la rue. N'oubliez pas de simuler les bulles d'oxygène dans l'eau en vous servant de la vitre et d'y ajouter des plantes vertes pour illustrer le fond de l'aquarium.

Si vous préférez cuisiner, concevez un menu à base de poisson comme la truite, le saumon ou le thon pour souligner cette journée. Pourquoi pas des sushis? Si vous disposez de plus de temps, inventez un menu «farce» dont les ingrédients peuvent être remplacés par d'autres. Par exemple, une tarte aux pommes peut devenir un pâté aux «pommes de terre» ou encore, les courgettes peuvent être substituées par des kiwis dans une crêpe farcie. À vous d'inventer et de surprendre vos invités !

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