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Remonter aux sources

On ne sait pas à quand remonte la corvée de l'épluchette de blé d'Inde. Certains auteurs la situent dès le régime français mais nous ne possédons à ce jour aucune source qui en mentionne l'existence avant le XIXe siècle. La description d'une veillée d'automne à rôtir le maïs faite par Chauveau en 1852 est la première assertion écrite d'une telle soirée mais il n'y est pas encore question d'épluchette. Il faut attendre 1866 pour lire dans La Gazette des campagnes une description détaillée de la coutume du «dépouillement ou égrenage des épis» comme fête de famille. L'épluchette de blé d'Inde serait-elle une coutume particulière aux Canadiens-français ? Deux manifestations, l'une américaine et l'autre française s'y apparentent et pourraient avoir une origine commune avec nos épluchettes.

Le folkloriste Édouard-Zotique Massicotte a consulté au début des années 1920 une petite brochure intitulée Farm Life in Central Ohio, sixty years ago. Cette brochure présente les réminiscences du juge Martin Walker sur certains aspects de la vie rurale dans l'état de l'Ohio. Dans ses souvenirs de jeunesse qui remonteraient à 1832, le juge Walker mentionne la coutume des «Husking bees». Il s'agit en fait d'une réunion pour décortiquer le maïs. La description qu'il en fait ressemble à peu de choses près à nos épluchettes. On peut probablement penser que les Américains ont emprunté cette coutume aux Canadiens qui ont séjourné dans plusieurs états de l'Amérique. Comme le souligne Massicotte, il n'y aurait rien d'étonnant non plus à ce que les colons de la Nouvelle-France ou de la Nouvelle-Angleterre aient calqué cette façon de faire des Amérindiens qui cultivaient cette plante bien avant l'arrivée des Européens. Mais une seconde manifestation du même type a été retracée en France : le despouilladé. On trouve une description de cette coutume de la région de Gascogne dans un ouvrage publié pour la première fois en 1921. Le 3 janvier 1914, l'académicien Joseph de Pesquidoux décrit dans un texte intitulé Les noces du maïs une scène qui ressemble étrangement à l'une de nos épluchettes à l'automne. Les travaux reconnus du folkloriste français Arnold Van Gennep confirment l'existence de cette coutume en Gascogne comme une occasion de chansons et de jeux appelée «despélouquéro» et aussi en Bresse où on la connaît sous le nom de la «dépouille du Turqui (trequi)» (Van Gennep, 1953 : 2728). Le folkloriste ajoute cependant qu'en France le maïs fut surtout consommé sous forme de bouillies et de galettes ; comme pain, il n'était pas apprécié. Sa récolte ne donna guère lieu à des festivités comme la dernière gerbe. Seuls l'épluchage et l'égrenage pouvaient se faire en groupe à la veillée. Bref, si l'origine de l'épluchette demeure obscure, il reste que c'est en Amérique qu'elle s'est le plus développée et au Canada français qu'elle se serait le mieux conservée jusqu'à nos jours.

Un peu d'histoire

Le maïs est reconnu comme une plante indigène en Amérique dont la culture remonte à plusieurs milliers d'années. Les premiers explorateurs européens observèrent que les Amérindiens en connaissaient la culture et qu'il était utilisé sous toutes ses formes et dans plusieurs de ses parties. Ils eurent également l'occasion à maintes reprises de bénéficier de cet aliment pour passer à travers les rigueurs de l'hiver comme ce fut le cas pour les Pères Pèlerins qui émigrèrent à Plymouth au Massachusetts en 1620.

Les récits de voyageurs nous font part de quelques observations au sujet de la présence du maïs en Amérique du Nord. C'est Christophe Colomb qui signale pour la première fois la présence du maïs sur le nouveau continent en 1492 tandis qu'en 1534, Jacques Cartier mentionne qu'il voit une variété de maïs à Gaspé. Gabriel Sagard raconte à son tour que les Hurons, vers 1632, «cueillent (le maïs) & le lient en pacquets par les feuilles (...)». (Séguin, 1968 : 66) Le récit du jésuite Joseph-François Lafitau sur les m?urs des «sauvages amériquains» en 1724 précise à ce sujet que «le temps de la moisson étant venu, on cueille le Bled d'Inde, qu'on arrache avec les feuilles qui environnent l'épy, & qui forment le calice. Ces feuilles, y étant fortement attachées, leur servent de lien pour le mettre en tresse, ou en cordes comme on en use pour les oignons.» Le tressage du blé d'Inde s'accompagnait de réjouissances collectives et au dire de Lafitau, c'était le seul temps où les hommes participaient à une tâche d'agriculture, généralement dévolue aux femmes, car ils ne se mêlaient ni de champs ni de récolte. En 1732, le médecin et botaniste Michel Sarrazin aurait aussi signalé dans un mémoire toutefois introuvable les qualités nutritives particulières du blé de Turquie (maïs) (Dictionnaire biographique du Canada, vol. II : 623). Enfin, lors de son voyage au Canada en 1749, le botaniste Pehr Kalm remarque qu'on en cultive sur toute la rive nord du Saint-Laurent entre Québec et Trois-Rivières et qu'il s'agit d'une espèce de maïs de petite taille ayant moins de grains mais qui mûrit hâtivement et donne plus de farine en proportion. Le Suédois espérait beaucoup acclimater cette culture à maturation rapide en Scandinavie.

Bien qu'il existe de nombreuses variétés de maïs qui présentent une grande diversité de caractéristiques d'ordre physiologique (taille, forme, couleur, maturité, adaptabilité), au Québec deux variétés seulement, qui remonteraient «à la présence amérindienne dans la Vallée du Saint-Laurent avant l'arrivée des Européens» (Provencher, 1984 : 57), ont été développées en culture. Ces deux variétés, nommées Gaspé Flint et Québec 28, constituent un véritable patrimoine génétique horticole dont les éléments originaux ont été conservés au Bureau canadien des ressources phytogénétiques à Ottawa.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, on a beaucoup raffiné cette culture dite facile et mis au point plusieurs lignées de maïs ayant des caractéristiques précises selon qu'on le destine à la consommation en épi ou à la production de farine. On trouve en effet sur le marché plusieurs variétés qui font la renommée de certaines régions comme les maraîchers de Neuville près de Québec qui produisent un maïs sucré, tendre et bicolore fort apprécié des amateurs. D'après les spécialistes phytologues, le maïs est une espèce dont le maintien dépend de l'homme car il n'y aurait plus de région où l'espèce d'origine existe à l'état naturel. De manipulation génétique facile, cette plante possède un grand potentiel de changement, ce qui signifie également qu'il est plus difficile de préserver ses caractères originaux.

Le maïs est généralement considéré comme une céréale faisant partie de la famille des graminées. Ses fruits, entassés en rang plus ou moins uniforme et serrés autour d'un axe cylindrique, sont des grains durs. L'ambiguïté avec la famille des légumes vient du fait que l'on emploie le terme maïs pour désigner à la fois la plante et le fruit. Les grains, mangés entiers en épis ou décortiqués, se rapprochent davantage sous cette forme d'un légume tandis que broyés en farine, ils s'apparentent à toutes les autres céréales. L'expression populaire blé d'Inde comporte d'ailleurs une référence au blé.

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