Avant l'institution des fêtes d'hiver urbaines organisées à la fin du XIXe siècle, le carnaval se limite à la période des jours gras et les festivités y sont concentrées. L'expression «jours gras» trouverait son origine dans une ancienne coutume française. «À la veille du carême, certains bouchers promenaient des animaux gras pour annoncer qu'ils avaient le privilège de vendre des viandes aux malades pendant les jours d'abstinence» (Massicotte, 1921: 89). L'expression signifie qu'il est permis de manger de la viande pendant ces jours. Les jours gras sont généralement au nombre de trois, c'est-à-dire le dimanche, le lundi et le mardi précédant le premier jour du carême, soit le mercredi des Cendres. Ils se caractérisent par une animation inhabituelle et une exubérance débordante de plaisirs qui trouvent leur apogée le Mardi gras, fin de la période carnavalesque. On peut difficilement dissocier carnaval et Mardi gras parce qu'ils appartiennent au même cycle. De plus, le Mardi gras n'est jamais célébré à date fixe puisqu'il est lié à la fête de Pâques, elle-même déterminée par le cycle lunaire. Au calendrier, le Mardi gras peut osciller entre le 3 février et le 9 mars.
En Nouvelle-France, dès les débuts de la colonie, le Journal des jésuites fait mention de la célébration des jours gras, surnommés alors «Quaresme prenant». Au XVIIIe siècle, les écrits font allusion à la mascarade et aux danses données chez le gouverneur. Jusqu'au début du XXe siècle, les fêtes du Mardi gras sont importantes. Elles se traduisent par une série de veillées entre parents, voisins et amis où l'on chante et danse, mange et trinque, joue aux cartes. Ces veillées traditionnelles sont souvent le prolongement des réjouissances du temps des fêtes. Ce qui caractérise principalement le Mardi gras, c'est la mascarade, c'est-à-dire un groupe de personnes masquées et déguisées avec des vêtements hétéroclites appelés familièrement «guenilles» qui vont de porte en porte en essayant de ne pas se faire reconnaître à chaque maisonnée. Selon les régions, seuls les hommes et les enfants se déguisent et font la tournée. À chaque maison, les travestis entrent et, tout en déguisant leur voix et changeant leur attitude, divertissent les occupants par une chanson ou improvisent une gigue. Il est aussi d'usage de manger un peu et de trinquer si cela est offert. La mascarade prend fin à la dernière maison ou à la salle paroissiale où a lieu une veillée qui doit obligatoirement se terminer à minuit. Passé cette heure, le carême commence et les prescriptions religieuses de l'époque commandent de faire pénitence. Selon les croyances, le non respect du carême pouvait entraîner le malheur, voire faire apparaître le diable.
Au Québec, la première version de la légende de Rose Latulipe est immortalisée par le récit de Philippe Aubert de Gaspé fils, paru dans l'ouvrage L'influence d'un livre publié en 1837. Ce récit dont on a recensé plusieurs versions orales et écrites a servi d'exemple à bien des fêtards qui se sont, paraît-il, aventurés à «danser sur le mercredi des Cendres», c'est-à-dire passé minuit le Mardi gras. Avec quelques variantes, la légende raconte l'histoire d'une jeune fille du nom de Rose qui a failli se faire enlever par le diable. Au cours d'une veillée de Mardi gras, peu après minuit, un étranger bien vêtu, arrivé d'on ne sait où en traîneau tiré par un cheval noir, s'arrête devant la maison et demande à danser. Il choisit la plus belle fille de la maisonnée. Celle-ci remarque que son partenaire lui pique la main à chaque fois qu'il la presse. Soupçonneuse, elle devient attentive à divers signes : l'étranger n'a pas enlevé ses gants, il lui offre un collier en échange de la chaîne avec une petite croix qu'elle porte, le bébé de la maison pleure chaque fois que le couple de danseurs s'approche. Averti en songe, le curé se précipite à la danse et exhorte l'étranger de quitter les lieux. Chassé à coup d'eau bénite, le «diable» est révélé par l'intervention du curé et disparaît comme il est venu, en laissant parfois des traces ou une odeur de souffre. Rose Latulipe en est quitte pour une bonne frousse et se fait religieuse. Voilà en gros le scénario de la légende de Rose Latulipe aussi connue sous le titre de la légende du diable beau danseur ou du diable à la danse.
Au Québec, à partir des années 1950 la coutume du Mardi gras est en perte de vitesse à la campagne comme à la ville. L'arrivée de carnavals organisés supplante cette tradition dont on ne conserve parfois que le nom, comme dans l'expression «bal du Mardi gras». Par contre, le Mardi gras est une coutume bien ancrée chez les Cajuns de la Louisiane, mais leurs traditions ce jour-là sont fort différentes des nôtres. Le Mardi gras louisianais varie même considérablement entre la ville et la campagne. À la Nouvelle-Orléans par exemple, les déguisements sont luxueux et liés à l'histoire de la Louisiane. Ils font partie d'activités comme les bals et les parades de chars allégoriques. Les petits villages, par contre, conservent une fête plus modeste où la tradition de «courir le Mardi gras» tire son origine de la «fête de la quémande» célébrée en France à l'époque médiévale. La coutume de «courir» consiste en une quête agitée où les participants, exclusivement des hommes, montés à cheval et costumés, vont de maison en maison recueillir les ingrédients nécessaires à la préparation d'un gumbo collectif. Ce repas traditionnel cajun est composé de farine, de riz, d'oignons et d'ocras, sans oublier le poulet. Cet élément, qui doit être attrapé vivant, fait d'ailleurs l'objet d'un concours auquel s'adonnent les quémandeurs. Les joyeux cavaliers sont organisés en troupe et ont un capitaine comme chef qui voit à la bonne conduite des participants. Chaque troupe a son itinéraire et c'est le capitaine qui se charge de demander à chaque maison si les occupants reçoivent des Mardi-gras. Le courir se termine le soir par un bal au cours duquel on déguste le gumbo. Dans de nombreuses localités, la course ne se fait plus à cheval et la quête est devenue plutôt symbolique puisque le gumbo est préparé à l'avance par les femmes. Sous cette forme, la coutume louisianaise s'apparente davantage à la guignolée qui se pratique au Québec la veille du jour de l'An et à la quête de la chandeleur en Acadie.