Plusieurs hypothèses sur l'étymologie du mot «carnaval» présentent des scénarios difficiles à certifier. L'hypothèse la plus plausible fait remonter l'origine au mot italien carnevale où le radical carne signifie viande, c'est-à-dire la chair des animaux que l'on mange. En latin, le mot chair se dit également caro ou carnis. Quant à la seconde partie du mot, vale, elle désigne une expression latine de salutation qui se traduit en français par «Porte-toi bien !» ou «Adieu». Le sens du mot carnevale serait ainsi «adieu à la bonne chère» ou «adieu à la viande» avant les privations du carême.
Une deuxième thèse propose que le mot italien carnevale est plutôt formé du latin carnem pour viande et levare pour enlever. Par un phénomène d'altération de la langue, carneleva se serait inversé pour carnevale et signifierait «enlever la viande». Toujours dans le même ordre d'idées, l'action d'enlever la viande se dit également carnis levamen en latin. Bref, quelle que soit la véritable origine étymologique, le mot carnaval trouve assurément son sens dans l'idée de jeûne et de privation qui suit éminemment la période carnavalesque. C'est donc par opposition qu'on a défini le carnaval par l'idée d'abondance et d'excès. Les trois derniers jours du carnaval portent d'ailleurs aussi le nom de «carême-prenant» car, s'il convient de faire bombance durant ces jours, il faut aussi se faire à l'idée qu'il faudra bientôt se priver. L'expression des jours gras trouve ici tout son sens car ceux-ci supposent des jours maigres.
Un peu d'histoire
Il existe aujourd'hui de nombreux carnavals dans le monde entier et le phénomène présente de multiples visages. Qu'il s'agisse du Carnaval de Binche en Belgique, de celui de Rio de Janeiro ou du Carnaval de Québec, ces événements prennent leur origine dans des manifestations anciennes dont ils portent encore certaines traces. L'étude des civilisations antiques laisse entrevoir des festivités païennes dont les rituels s'apparentent au carnaval. Si toutes ces anciennes festivités n'ont pas donné directement naissance au carnaval, certaines caractéristiques carnavalesques trouvent une filiation avec des fêtes antérieures au christianisme. «Les antécédents du carnaval peuvent être recherchés dans l'ensemble des fêtes hivernales célébrées dans les sociétés anciennes.» (Feuillet, 1991: 22)
On peut aussi voir des ressemblances avec des fêtes de la Rome antique, comme les bacchanales et les saturnales. Les premières font référence au dieu grec Dionysos, aussi connu par son nom latin Bacchus, associé au vin et à l'ivresse. Le qualificatif «dionysiaque» n'est-il pas associé aux débordements et à l'enivrement qui caractérisent souvent le rituel carnavalesque? Les bacchanales sont d'ailleurs appelées invariablement «dionysies» ou «dionysiaques». Ces fêtes sont célébrées au printemps et en automne car elles sont liées à la fois à la fertilité (semence) et à l'ivresse (récolte des fruits de la vigne). Quant aux saturnales, célébrées le 17 décembre, elles perpétuent le culte dédié à Saturne, le dieu de l'agriculture, celui qui enseigne la culture de la terre. Lors des saturnales, il est coutume de danser et de chanter et les réjouissances s'accompagnent de licences alimentaires où l'abondance règne. Les saturnales se caractérisent en outre par des jeux d'inversion où les rapports sociaux sont renversés. Le temps d'une journée, les esclaves sont servis par leurs maîtres de sorte que tous se trouvent sur un pied d'égalité. Ces fêtes peuvent parfois se terminer par l'élection d'un roi, choisi parmi les condamnés à mort. Cette coutume n'est pas sans rappeler la fête des fous qui avait cours au Moyen Âge.
Quelques jours après les saturnales, les Romains fêtent le début de l'année par les calendes de janvier. Célébrées du 1er au 3 janvier, ces fêtes sont dédiées à Janus, le plus ancien dieu de Rome, qui représente le passage entre deux états ou deux univers. Dieu ambivalent, il regarde à la fois derrière et devant et agit comme un trait d'union entre la fin et le commencement. Janus symbolise la porte de l'année, c'est pourquoi le premier mois de l'année civile romaine lui est consacré. Comme pour les saturnales, les calendes de janvier sont l'occasion de mascarades. Cet aspect explique le rapprochement avec le carnaval bien que toutes ces festivités n'appartiennent pas au cycle calendaire du carnaval proprement dit.
Certains rapprochent également le carnaval des lupercales célébrées le 15 février dans l'Antiquité. Ces fêtes romaines inaugurent l'année civile qui débute avec les calendes de mars jusqu'en l'an 45 avant Jésus-Christ. Instituées pour Romulus et dédiées au dieu Lupercus, protecteur des troupeaux et dieu de la fécondité, les festivités des lupercales, qui peuvent se prolonger pendant sept jours, ont une fonction purificatrice. Cortège de chars, mascarades, excentricités diverses, enivrement font partie des rites de purification des derniers relents de l'hiver avant le renouveau printanier. Les lupercales sont en quelque sorte les seules festivités qui entrent dans la période carnavalesque proprement dite, mais on se souviendra que le calendrier romain a subi de nombreuses transformations par rapport au calendrier actuel dit grégorien. D'autres fêtes populaires connues en France portent les traces d'usages et de rituels ancestraux encore présents dans les carnavals actuels. Hérité ou non des fêtes antiques païennes, le carnaval s'est formalisé sous l'influence du christianisme. Le souvenir des fêtes des fous, dont la fête de l'âne médiévale, aussi appelées «libertés de décembre», est un rappel de ce rapprochement. Ainsi, le carnaval chrétien, c'est-à-dire celui qui s'inscrit dans le cycle carnaval-carême, fait son apparition au début du deuxième millénaire à la suite du concile de Bénévent en 1091. Il commence à se développer véritablement comme l'antithèse d'une période de privation à partir du moment où l'Église établit le début du carême au mercredi des Cendres fixant du même coup la position de Pâques.