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Remonter aux sources

Deux grandes hypothèses permettent d'expliquer l'origine de la Saint-Jean. «Certains l'associent aux célébrations du solstice d'été, d'autres au cycle des fêtes agraires» (Mathieu, 1976 : 5). Dans l'Antiquité, plusieurs peuples comme les Perses, les Grecs ou les Celtes rendent un culte spécial au soleil, source de lumière, principe de la vie terrestre et élément régulateur du rythme des saisons. Pour vénérer cette lumière naturelle qui se manifeste avec ampleur au solstice d'été, tous ces peuples élèvent des feux et des bûchers sur les collines et sur le bord des cours d'eau. On a observé la même coutume de dresser des feux à l'occasion du solstice d'hiver dans les traditions nordiques anciennes. La bûche de Noël serait d'ailleurs un vestige de cette tradition. Fête de la lumière et de la joie, la Saint-Jean chez les Gaulois permet de souligner le passage du printemps à l'été, du renouveau de la végétation à sa montée luxuriante. En ce sens, la Saint-Jean appartient au cycle agraire avec ses rites de purification du sol producteur. Dans les traditions bretonnes et françaises, la symbolique du feu est en étroite relation avec celle de la végétation. Une vieille coutume qui consiste à entourer de paille une roue de charrette que l'on promène embrasée dans les champs pour les fertiliser est l'image même de cette association du soleil qui tourne autour de la terre. Que ces théories dites solaires soient ou non à l'origine de la Saint-Jean, il reste que dans la société rurale française et canadienne-française du XIXe siècle, la Saint-Jean marque l'arrivée officielle de la saison estivale. Pour celui qui vit des produits de la terre et dont le rythme des travaux est lié à celui des saisons, la Saint-Jean permet de prendre quelques instants de répit et de divertissements avant que ne débutent les gros travaux de fenaison et de moisson. Au Québec, où la religion est présente au quotidien pour toute la collectivité jusqu'au milieu du XXe siècle, le calendrier est davantage religieux que populaire. La date qui officialise l'arrivée de l'été est le 24 juin car le 21 n'honore pas un saint en particulier.

La Saint-Jean semble être la fête la plus ancienne que les Européens ont emporté avec eux lorsqu'ils ont peuplé la Nouvelle-France. La première mention écrite soulignant la Saint-Jean sur le nouveau continent remonte à 1606. Embarqué sur le Jonas, un navire provenant de La Rochelle et amenant en Acadie des colons recrutés par Jean de Poutrincourt, le poète Marc Lescarbot raconte comment se fait l'arrivée de l'équipage sur les bancs de Terre-Neuve la veille de la Saint-Jean. Un autre document tiré de la Relation des jésuites et rédigé par le Père Lejeune en 1636 mentionne qu'une manifestation populaire a lieu le 23 juin, veille de la Saint-Jean, dans la vallée du Saint-Laurent.

Partout en France au Moyen Âge jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la Saint-Jean est l'objet de réjouissances collectives mais elle fait aussi partie des grandes fêtes religieuses d'importance. La fête est alors principalement marquée par une cérémonie liturgique, une procession sur les places publiques et la bénédiction des feux et des bûchers par le curé. Puis aux XVIIIe et XIXe siècles, les feux sont jugés trop païens et certains diocèses de France les interdisent tandis que d'autres les tolèrent. Le concordat de 1801 entre l'Église catholique et l'État souverain de Bonaparte met fin aux hésitations en déclarant la Saint-Jean fête non chômée. De ce fait, la fête a conservé son caractère populaire tout en se distinguant des fêtes religieuses d'obligation.

En Nouvelle-France, la fête connaît le même affaiblissement. Sous le Régime français, on relate sporadiquement que la Saint-Jean est fêtée et malgré le peu de documents d'archives disponibles pour cette période, on peut croire, comme le souligne l'historien Benjamin Sulte, qu'un bûcher est dressé chaque année, du moins à Québec. À partir de 1694, elle prend plus d'éclat car Mgr de Saint-Vallier, évêque du diocèse de Québec en fait une fête d'obligation. La Saint-Jean est chômée et observée rigoureusement jusqu'en 1744 où Mgr de Pontbriand reporte la fête au dimanche. Comme pour d'autres fêtes, elle devient une fête de dévotion. Même après la conquête, les feux de la Saint-Jean ont continué d'être allumés à la tombée de la nuit le 23 juin. Ce n'est qu'au XIXe siècle que les pratiques de cette fête collective ont considérablement changé pour devenir d'ordre politique.

Dès les tout débuts de la colonie, saint Joseph est choisi comme patron des habitants de la Nouvelle-France. Fixée le 19 mars, la Saint-Joseph se célèbre comme en France par une cérémonie religieuse, des coups de canon et des feux d'artifice. Les deux fêtes persistent simultanément et il faut attendre deux siècles avant que saint Jean-Baptiste ne supplante saint Joseph comme patron des Canadiens français. Peu à peu la fête de la Saint-Joseph perd son caractère populaire car les giboulées de mars et la fonte des neiges ne constituent pas un temps propice aux réjouissances extérieures. Qui plus est, le 19 mars arrive souvent pendant la période du carême. Les splendeurs de la température du 24 juin ont aussi avantagé la Saint-Jean-Baptiste comme fête patronale alors que la Saint-Joseph est devenue exclusivement une fête religieuse placée sous le patronat de Joseph le charpentier, patron de l'Église universelle.

À partir du XIXe siècle, la Saint-Jean-Baptiste revêt un caractère avant tout politique. L'esprit nationaliste des Canadiens français s'éveille et plusieurs commencent à se regrouper pour revendiquer la liberté de la nation. Une anecdote au sujet du sobriquet populaire «Jean-Baptiste» attribué aux Canadiens français illustre ce trait nationaliste. Lors de la guerre de 1812, un officier anglais remarque à l'appel la fréquence du prénom Jean-Baptiste parmi les rangs des soldats. S'écriant «Damned, they are all called Jean-Baptiste», le sobriquet a désigné à la longue tous les Canadiens français tant chez les militaires que dans la population en général.

En juin 1834, grâce à l'initiative du patriote Ludger Duvernay, on assiste à la première Saint-Jean-Baptiste à consonance nationaliste. Duvernay offre un banquet patriotique qui regroupe une soixantaine de Canadiens français réunis par un même sentiment d'appartenance. Les discours de l'occasion proclament saint Jean-Baptiste patron des Canadiens français. Pendant trois années consécutives, les banquets à la Saint-Jean-Baptiste se répètent jusqu'aux troubles de 1837-1838 où Duvernay et ses semblables s'expatrient aux États-UnisÀ leur retour en 1842, ils mettent sur pied la Société Saint-Jean-Baptiste qui contribue à affirmer l'identité nationale. L'une est fondée à Québec le 19 juin 1842 par Napoléon Aubin et Pierre-Martial Bardy, puis celle de Montréal est créée en bonne et due forme le 9 juin 1843. Chaque société Saint-Jean-Baptiste adopte une devise : «nos institutions, notre langue et nos lois», des bannières qui seront remplacées par un drapeau, et des emblèmes comme la feuille d'érable et le castor. «Dans les années 1860-70-80, la fête de la Saint-Jean-Baptiste se répand chez tous les Canadiens français d'origine, jusqu'en Acadie et aux États-Unis» (Mathieu, 1976 : 6). Malgré toute la dévotion témoignée jusque-là à saint Jean-Baptiste, celui-ci n'est pas officiellement désigné patron national. Il faut attendre le 26 février 1908, année du tricentenaire de la fondation de Québec, pour qu'à la demande de la Société Saint-Jean-Baptiste, le pape Pie X proclame saint Jean-Baptiste patron spécial des Canadiens français «tant de ceux qui sont au Canada que de ceux qui vivent sur une terre étrangère» (Gosselin, 1960 : 24).

À partir de ce moment, plusieurs rapprochements se font directement entre le personnage religieux précurseur de Jésus et la «race canadienne-française» qui compte aussi ses héros précurseurs et découvreurs en Amérique. Le saint patron devient comme un modèle pour la nation. De 1920 à 1960, la fête de la Saint-Jean-Baptiste ne subit pas de modifications majeures. Deux moments caractérisent cependant cette période. En 1925, la législature de Québec déclare le 24 juin congé férié. Par ailleurs, le drapeau fleurdelisé est officiellement adopté comme drapeau du Québec en 1948. À partir des années 1960, on délaisse peu à peu le nom de Canadien français pour celui de Québécois et le nationalisme s'affirme avec plus de conviction. La fête de la Saint-Jean-Baptiste atteint des sommets d'enthousiasme en 1976 où elle est jumelée à la Semaine du patrimoine qui donnera lieu à un spectacle mémorable mettant en scène les Vigneault, Léveillé, Deschamps, Charlebois et Ferland. En 1977, le premier ministre René Lévesque institutionnalise la Saint-Jean-Baptiste comme Fête nationale des Québécois et en 1978, le gouvernement du Québec crée le Comité organisateur de la fête nationale dans le but de favoriser une participation étendue à toutes les régions de la province. Aujourd'hui la Saint-Jean-Baptiste a bel et bien le statut d'une fête nationale, chômée au même titre que la Saint-Patrick pour les Irlandais, la Saint-Georges pour les Anglais ou la Saint-André pour les Écossais.

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