Les sujets abordés dans les courriers du cœur sont délicats et de nature privée. Ils touchent à l'intimité de l'individu. Dans ces chroniques, on y expose les problèmes conjugaux, on parle des fréquentations amoureuses, de l'éducation des enfants, de sujets d'ordre psychologique, voire sexuel. Au cours des années 1960, des grands débats comme la contraception surgissent. L'éventail des sujets des courriers du cœur reflète les préoccupations sociales d'une société en pleine révolution. De l'économie domestique aux pratiques intimes, un passage s'effectue.
Les courriers du cœur sont dérangeants. Ils exposent sur la place publique toutes sortes de problèmes de nature privée, et ce, dans l'anonymat. Pour leurs détracteurs, les courriers du cœur font dans l'indiscrétion et sont en quelque sorte perçus comme «un mur des lamentations». Leur ouverture est la cause de leur mauvaise réputation. En 1968, on parlait de l'émission de madame X comme une «cour des miracles de toutes les infirmités physiques ou mentales» où «le drame humain est toujours aussi grave même si, parfois, le problème exposé semble insignifiant» (Guay, 1968 : 215). Si ces courriers permettent d'exprimer la misère humaine, leur existence répond peut-être aux besoins d'une certaine clientèle sans recours ou incapable de se payer les services professionnels d'un psychologue.
Le succès des courriers écrits ou radiophoniques repose sur la formule. Le but de ces chroniques est celui d'échanger, d'informer, d'aider et d'écouter; le ton, celui de la confidence, de l'intimité, de l'anonymat. On a souvent parlé du rôle des courriéristes et de l'efficacité de leur «ministère» que l'on a comparé au curé d'autrefois dans les paroisses.
Les courriéristes du cœur
La relation établie entre la courriériste - fonction généralement occupée par des femmes - et le correspondant repose sur la confiance, le respect et l'écoute. À certains égards, la courriériste est la confidente, sorte de confesseur, celle qui reçoit les doléances. Témoin privilégié de la souffrance, elle agit parfois comme consolatrice, conseillère, modératrice, réconciliatrice. En général, on lui reconnaît des qualités de communicatrice. «Il y a dix ou vingt ans, la majorité de ces femmes ou de ces hommes allaient trouver le curé ou le vicaire pour demander conseil ou recevoir une absolution qui les libérait de leurs angoisses. Ces gens-là ne pratiquent plus ou n'ont plus une confiance aveugle envers le prêtre; peut-être aussi trouvent-ils que le prêtre est plus difficile d'accès ou qu'il est moins gênant de se raconter par téléphone, de se confier en premier lieu à un objet». (Guay, 1968 : 215). Tout comme le curé, la courriériste fait figure d'autorité mais pour plusieurs, elle véhicule des valeurs qui les rejoignent davantage parce qu'elles sont plus modernes. Elle est au fond une sorte de catalyseur social qui se positionne au carrefour d'une société en mutation. C'est en partie ce rôle de témoin privilégié qui valut aux courriéristes une si mauvaise réputation. Il faut insister sur l'importance de l'anonymat dans les courriers du cœur. Il est plus facile au départ de se confier à une voix anonyme et d'écrire à la courriériste sous un pseudonyme qui permet la confidentialité. Contrairement au curé qui connaissait personnellement toutes ses ouailles, la courriériste n'a pas ce contact. Mais à l'instar du prêtre, son rôle est soumis à une sorte de secret de la confession. Comme le dira Edith Manseau en parlant du Courrier de Marie-Josée, «c'est là déjà une forme de catharsis, un soulagement de savoir que sa souffrance est connue, diffusée et comprise». (Manseau, 1985 : 95) Courir la chance que son problème soit publié ou le divulguer à la radio, c'est au fond une façon de le régler par le simple fait d'en parler.
Parle, parle, jase, jase! ou encore Parler pour parler, ça vous dit quelque chose? Il s'agit d'une tribune télévisée, animée par Janette Bertrand, courriériste de la première heure. D'autres femmes ont aussi marqué la mémoire collective. Si celle qui animait Tante Monique au début des années 1940 tenait à conserver l'anonymat, madame X, quant à elle, a inscrit une forme d'anonymat dans le titre même de son émission. Mais la plupart des courriéristes ont choisi un pseudonyme pour encourager les confidences. Il est vrai que s'adresser à quelqu'un par son prénom favorise un contact plus direct, plus familier. Des noms comme Margot, Marie-Josée ou Mamie président au fond aux relations interpersonnelles. D'autres courriéristes, conscientes de leur rôle social, se retrouvent aux prises avec la notoriété qui les fait glisser vers le phénomène de vedettariat. Hughette Proulx est considérée par plusieurs comme la première femme aux propos osés qui a parlé ouvertement de sexualité à la radio. L'animatrice de Radio-sexe sur les ondes de CJMS en 1974 a suscité bien des contestations par sa façon franche et directe de répondre aux questions des auditeurs. Comme le confiait l'animatrice, ses intentions étaient davantage tournées «à aider les hommes et les femmes à mieux se comprendre qu'à parler uniquement de rapports sexuels». (Chaperon, 1998 : 63).
Dans ce mouvement de libération des années 1970, celles qui tiennent enseigne sur la place publique des cœurs-en-mal-d'aimer se font montrer du doigt. On les accuse de s'improviser psychologue ou spécialiste de toutes les questions à caractère privé ou pire encore, d'être des agitateurs publics. Ainsi s'indignait un curé gaspésien du courrier de Marie-Josée vers la fin des années 1960 : «Je suis d'avis que le courrier de Marie-Josée devrait disparaître complètement de ce journal. Il y a longtemps que je jette un coup d'œil sur ce courrier pour me rendre compte de sa bêtise. Les questions sont posées dans 95% des cas par de jeunes gens, jeunes fillettes surtout, en crise de puberté ou de racolage, ou par des femmes qui "voudraient bien changer de mari..." Vous semblez prendre plaisir à exciter leur sexe. J'ai bien l'impression que vos conseils ne sont pas suivis.» (Gagnon, 1993 : 75)
Faux diagnostics ou exploitation de la misère humaine, le problème n'est pas là. À voir la popularité des courriers du cœur depuis quelques décennies, il faut bien avouer que ces tribunes ont leur raison d'être et que les courriéristes sont en quelque sorte des «thérapeutes» indispensables qui s'ajoutent aux autres organismes sociaux. Ne serait-ce que parce qu'elles manifestent de la sympathie à l'égard des personnes, les courriéristes sont détentrices du pouvoir de soulager et d'informer. En ce sens, les courriers du cœur sont des carrefours qui libèrent la parole et qui favorisent les échanges d'expériences.