L'importance du premier voisin dans la société traditionnelle et rurale n'est pas un mythe. S'il est des chicanes notoires entre voisins à propos de bornes, de clôtures et de limites de terrain, il reste que la solidarité et l'entraide entre les habitants d'un même rang ont été autrefois des valeurs sociales plus forte même que la solidarité de paroisse. La division des terres, tracée selon un plan en rangées uniformes parallèles au fleuve, a contribué à faire naître un sentiment d'appartenance entre les habitants d'un même rang. Avant d'ouvrir un second ou troisième rang, on attend que l'occupation du premier soit complétée car, jusqu'en 1841, chaque nouvelle construction de chemin ou son entretien, hiver comme été, incombe à ses usagers. Les conditions de vie étant difficiles pour tous, davantage pour certains aspects à la campagne, l'entraide est de mise et on se rend beaucoup de services. Les relations de voisinage varient selon les besoins : garder les enfants pendant les relevailles, aller chercher le médecin ou le prêtre, aider aux corvées habituelles des travaux de la ferme. Le premier voisin a toute la considération ; il fait presque partie de la famille. Aujourd'hui, les relations de voisinage existent toujours mais elles sont moins primordiales parce qu'elles ne sont plus directement associées à une question de survie. Les modes de vie ont changé ; certaines personnes peuvent vivre, entre autres en ville, sans jamais parler à leurs voisins. Par ailleurs, cela ne signifie pas que l'entraide soit disparue des valeurs sociales.
Un peu d'histoire
Dès les débuts de la colonie en Nouvelle-France, le système seigneurial est en vigueur et est calqué en partie sur le régime féodal français. Le seigneur reçoit des terres qu'il doit concéder et verse en retour une taxe à l'État. Ce système ne va pas sans devoirs et obligations envers les censitaires et vice versa. En plus d'habiter le manoir seigneurial, d'ériger un moulin à farine et de le faire fonctionner, le seigneur doit «contribuer aux cotisations de l'Église et participer aux corvées de voirie» (Provencher, 1988 :19). En revanche, il peut exiger trois ou quatre jours de corvée par année des censitaires comme pour l'ouverture et l'entretien des chemins. C'est une façon pour les colons de s'acquitter d'un impôt autrement qu'en versant un montant en espèces. De même, la coutume de la plantation du mai devant son manoir revient au seigneur comme un droit et un honneur. À la fin du régime français en 1760, le système seigneurial perd de son importance et plusieurs coutumes comme l'érection du mai deviennent symboliques. L'abolition des pouvoirs du seigneur et ses titres sera définitive au milieu du XIXe siècle. La corvée seigneuriale disparaît des obligations des colons mais demeure comme expression de solidarité et de survie collective dans un pays aride.