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Remonter aux sources

Jour national du déménagement, le 1er juillet est une date bien ancrée dans la mémoire collective qui nous rappelle davantage l'échéance des loyers que la fête de la Confédération. Mais saviez-vous que le 1er juillet n'a pas toujours été la date officielle de fin des baux? En effet, ce n'est que depuis 1974 que cette tradition s'est installée car auparavant, la date d'expiration d'un bail à durée fixe de douze mois était le 1er mai.

Nous ne savons pas à quand remonte cette échéance, mais l'on sait cependant que dans le premier Code civil du Canada (1866), la date du 1er mai était déjà inscrite comme terme des baux aux articles numéros 1608 et suivants. Comme le droit civil québécois a été établi en grande partie d'après le droit civil français, il y a lieu de croire que cette date était déjà reconnue en France comme date d'échéance des baux bien avant la seconde moitié du XIXe siècle.

Par ailleurs, aucune mention du 1er mai n'a été relevée comme date d'échéance dans les actes notariés du XVIIe et du XVIIIe siècles inventoriés par l'ethnologue Robert-Lionel Séguin. Il est vrai que sa recherche a davantage porté sur le monde rural et que c'est la vie urbaine qui a surtout développé les pratiques des immeubles à logements et la location. Des extraits de l'ouvrage de Séguin appuient pourtant l'existence de dates d'échéance des baux (Séguin, 1973 : 238-239) :

D'après la coutume au Québec, certains jours de l'année marquent la fin ou le renouvellement des marchés et des contrats qui assurent la bonne administration du patrimoine agricole.

Les dates d'échéance sont également nombreuses en Nouvelle-France, surtout à la fin du XVIIe siècle. (...) La Toussaint reste la plus citée de toutes ces fêtes. Comme les préparatifs d'hivernement débutent en novembre, ce jour marque généralement la fin des louages de bêtes à corne.

L'emploi de fêtes religieuses comme dates d'échéance, est relativement courant en Nouvelle-France.

Parlant de la vie urbaine, l'historien Yvon Desloges constate par ailleurs que «les Québécois du XVIIIe siècle affichent une préférence marquée pour emménager au printemps, principalement le 1er mai, ce que confirme l'intendant Bigot dans son ordonnance du 20 avril 1750» (Desloges, 1991 : 128).

En 1973, un projet de loi relatif au louage des choses et à la création d'un tribunal des loyers visait à changer cette pratique. Entrée en vigueur le 1er janvier 1974, cette loi modifiant le Code civil abolissait la date du 1er mai comme date de fin d'un bail et laissait au propriétaire, dans le cadre de son entente avec le locataire, le soin d'établir la date d'échéance. De plus, la loi prévoyait des dispositions transitoires pour les baux expirant le 30 avril ou le 1er  mai 1974 par une prolongation jusqu'au 30 juin 1975.

À partir de ce moment, la date de fin de bail est laissée à la discrétion des deux parties qui la fixent d'un commun accord. On peut alors se demander pourquoi une grande majorité de personnes adoptent le 1er juillet comme nouvelle échéance. Les dispositions transitoires concernant la prolongation initiale au 30 juin ne sont peut-être pas étrangères à l'instauration de cette nouvelle tradition.

Le principal motif du changement de date avait un rapport étroit avec la fin des classes scolaires. En effet, au 1er mai la situation était désastreuse dans les écoles. Cette migration printanière causait de véritables remous au sein de la population scolaire, principalement de niveau élémentaire. Chaque année, de nombreux écoliers et écolières devaient finir leur année scolaire dans une autre commission scolaire où souvent des programmes différents étaient dispensés. Voici une anecdote qui illustre bien les problèmes que cela pouvait soulever.

Je me rappelle une année avoir étudié géographie à mon école pour me retrouver à la fin de l'année scolaire à l'examen du ministère en histoire. J'avais changé de ville au 1er mai parce que mon père avait été transféré par la compagnie pour laquelle il travaillait. Ça m'avait seulement donné deux mois de rattrapage pour apprendre tout le programme d'une nouvelle matière.

Si l'on en croit l'usage, il est plus logique, du moins pour les écoles, que la fin des baux ne soit plus fixée au 1er mai. De cette façon, le changement de date n'aurait plus aucune incidence sur l'inscription des élèves qui était faite en mai et la population étudiante serait ainsi maintenue jusqu'à la fin des classes en juin. Un autre des effets de ce changement fut de contrer les mouvements massifs de quartier à un moment crucial de l'année tout en visant une plus grande stabilité dans le prix des loyers et dans le phénomène de location en général.

Il est curieux que la tradition séculaire du déménagement, même après avoir été déplacée de deux mois, soit restée aussi respectée d'autant plus que dans d'autres provinces, il n'y a aucune date d'échéance qui régit la pratique du déménagement. La plupart du temps, l'échéance du loyer est la fin du mois et parfois il n'y a pas de bail comme tel.


Un peu d'histoire

La pratique de la location en Nouvelle-France était courante à la ville comme à la campagne dès le XVIIe siècle. L'historien Yvon Desloges affirme que «tout se loue à Québec au XVIIIe siècle, depuis le lopin de terre ou la maison, jusqu'au poêle à chauffage en passant par le métier à tisser» (Desloges, 1991 : 116).

La location d'immeubles se pratiqua en France dès le XVe siècle mais elle ne prit de l'importance véritable qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles par la création de maisons à appartements. Dans les grandes villes comme Paris, la construction d'immeubles à loyer entraîna une surenchère du prix des logements de sorte qu'au XIXe siècle, plusieurs quartiers rénovés ne trouvaient pas preneur. Incapables de se payer ces nouveaux loyers, les familles ouvrières se voyaient contraintes de migrer d'un logement à un autre (La vie populaire en France du Moyen âge à nos jours, 1965 : 128).

Au Québec, on retrouve ce phénomène migratoire dès le XVIIIe siècle et encore plus dans la seconde moitié du XIXe siècle où des dispositions comme la création de coopératives d'habitation sont mises en oeuvre «afin de permettre aux ouvriers de villes de se loger plus décemment et à moindre coût. Le mouvement connaît un essor marquant vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale.» (Mathieu et Lacoursière, 1991 : 70.) Etre locataire n'est donc pas un trait sociologique propre au XXe siècle. À la fin du XVIIe siècle, la Ville de Québec par exemple est une ville de propriétaires à 85%. Vers 1740 cependant, la situation est complètement inversée et les locataires comptent pour 60% des habitants de la ville (Desloges, 1991 : 113-116). Cette situation perdurera jusqu'à nos jours (70% de locataires) et ce n'est qu'autour de la décennie 1970 que le Québec est passé «d'un espace majoritairement occupé par des locataires» (Mathieu et Lacoursière, 1991 : 70) à un espace marqué par une occupation plus permanente de la propriété. Malgré l'amélioration de l'accès à la propriété, le phénomène de location est encore très présent surtout dans les grandes agglomérations urbaines où il s'agit véritablement d'un mode d'habiter.

Autrefois, on allait à la ville pour travailler ce qui occasionnait de nombreux déménagements tandis que le même mouvement vers la campagne était plutôt rare, voire exceptionnel. L'exode vers les banlieues est un phénomène relativement récent, qui plus est, nord-américain. Aujourd'hui, les banlieusards forment la majorité de la population du Québec. Les villes de Montréal et de Québec ont perdu plus de 13% de leurs résidents depuis 20 ans, les centre-ville sont désormais habités le jour par des travailleurs de passage tandis que la banlieue s'étend de plus en plus. Un certain attrait des banlieues réside dans le prix plus bas des maisons et des terrains plus spacieux qu'en ville auquel des personnes associent une certaine qualité de vie. Au-delà de ces critères discutables, le développement des banlieues signifie un changement des modes d'habiter : pour plusieurs la location est remplacée par l'occasion de devenir propriétaire (Chartrand, 1998 : 25).

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