Issu d'une famille de chanteurs et de musiciens de Saint-Barnabé-Sud (près de Saint-Hyacinthe), Charles-Émile Gadbois, initié à la musique dès son enfance, apprend le piano, le violon et la clarinette et maîtrise la plupart des instruments de l'orchestre au cours de ses études au Séminaire de Saint-Hyacinthe, entre 1918 et 1926.
Pendant ses études de prêtrise au Grand Séminaire de Montréal de 1926 à 1930, il démontre un grand intérêt pour la musique vocale, étudie le chant grégorien et enseigne le solfège. Après son ordination le 14 juin 1930, l'abbé Gadbois revient au Séminaire de Saint-Hyacinthe où il enseigne le français, la liturgie, la musique et le chant pendant 25 ans tout en poursuivant ses études de violon.
En juin 1937, Gadbois assiste à une conférence de Mgr Camille Roy, recteur de l'Université Laval, dans le cadre du 3e Congrès de la Langue française, tenu au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Le message alors lancé par Mgr Roy recommande un retour aux chansons canadiennes et françaises comme moyen efficace pour assurer la survivance et le renforcement de l'esprit et de la culture française. Déjà au milieu des années 1930, les musiques de boogie-woogie et de fox trot et même le jazz américain, diffusées entre autres à la radio, inquiètent sérieusement les membres du clergé et les bien-pensants; du moins assez pour qu'un mouvement de résistance s'installe. Gadbois se voit confier personnellement cette mission éducative par la chanson et dès la rentrée scolaire de 1937, un projet prend forme.
L'abbé propose à chaque élève du Séminaire une chanson par semaine, au coût de 1¢ la copie, diffusée sous la forme d'un abonnement. «La feuille d'érable» d'Albert Larrieu est la première chanson qui marque le départ d'une longue aventure. C'est cette même chanson qui fut choisie par la Ligue nationale d'improvisation (LNI) au début des années 70 et qui se chante avant chaque match. Les premières chansons se vendent bien et Gadbois décide de les distribuer sous forme d'abonnements.
Un peu d'histoire
À la fin de l'année 1937, dix chansons sont déjà publiées et La Bonne Chanson compte 6500 abonnés dans la seule région de Saint-Hyacinthe. À partir de l'automne 1937, l'abbé Gadbois consacrera 18 années de sa vie bien remplies à l'œuvre de La Bonne Chanson qui prendra l'envergure d'une véritable entreprise. Entre 1937 et 1955, au-delà de 150 millions d'exemplaires de chansons sortiront du sous-sol de la chapelle du Séminaire de Saint-Hyacinthe qui abritait l'entreprise.
En début d'année 1938, les équipements se modernisent, une équipe d'employés est constituée et tout un appareil publicitaire est mis sur pied : cartes de souhaits et cartes de Noël avec musique, signets, crayons, règles, images pieuses, calendriers. À l'été 1938, Gadbois se rend en Europe pour négocier et acheter les droits de publication de chansons. Dans certains cas, il en coûtera quelques centaines de dollars pour obtenir les droits d'une chanson, une forte somme pour l'époque. Il emprunte l'argent nécessaire pour arriver à ses fins et revient avec 250 autorisations en poche. Au cours de son voyage, il se rend aussi à Rome rencontrer le pape Pie XI et solliciter la bénédiction de son projet. Le 5 octobre 1938, le Conseil de l'Instruction publique de la Province de Québec approuve l'utilisation de La Bonne Chanson pour l'enseignement du chant et de la musique dans toutes les écoles de son territoire. Dix ans plus tard, les cahiers de La Bonne Chanson à l'école seront reconnus comme les seuls manuels scolaires pour l'apprentissage de la musique.
La Bonne Chanson connaît un tel succès et un tel battage publicitaire qu'à la fin de 1939, les compagnies privées Kellogg, Proctor & Gamble et le Journal des Agriculteurs font éditer des albums pour offrir en prime à leurs clients. Lors des visites prestigieuses, l'abbé Gadbois offre ses cahiers, entre autres à la reine d'Angleterre à l'attention de ses filles puis au Maréchal Pétain. Par la voix des ondes, La Bonne Chanson est diffusée à la radio CKAC et CBF (Radio-Canada) en 1939 par l'émission Le Quart d'heure de la Bonne chanson. Cette émission sera commanditée pendant plusieurs années par l'Association des amis de la Bonne Chanson, association regroupant 12, 000 membres. Elle laissera l'antenne en 1952.
Après la radio, la Bonne Chanson rayonne par l'industrie du disque. RCA Victor endisque les chansons de ce répertoire interprétées par les artistes de l'heure dont les membres du Quatuor de la Bonne Chanson. En tout la compagnie produira près de 70 disques.
Les années 40 marquent l'apogée de la Bonne chanson. L'abbé Gadbois distribue son œuvre, organise des concours, des festivals et des fêtes importantes comme la fête du Tricentenaire de Montréal en 1942 qui se tient au Forum devant une foule de plus de 8000 personnes. Malgré les apparences, l'entreprise est déficitaire et Gadbois doit se départir d'une partie de ses biens en mai 1955. Il lance cependant la revue Musique et musiciens dont 16 numéros paraîtront entre 1952 et 1954. Le 1er juin 1953, il obtient une licence qui lui permet de fonder CJMS (Canada), Je Me Souviens, un poste éducatif et culturel créé avec ses amis Paul Leduc et Raymond Boisvert. Pendant deux ans encore la Bonne Chanson occupera librement les ondes radio. La grande participation du public à l'émission quotidienne Vive la Canadienne témoigne de l'intérêt encore marqué pour les concours de chansons.
En 1955, les Frères de l'Instruction Chrétienne (FIC) se portent acquéreurs sous le nom de la maison d'édition Les Entreprises Culturelles Enr. Complètement dépouillé de ses biens (qu'il estimait à 300,000$), l'abbé Gadbois entreprend une autre étape de sa vie, axée davantage sur ses engagements religieux : vicaire à la paroisse Sainte-Famille de Sherbrooke pendant 3 ans; aumônier dans une école secondaire et ensuite au Mont Saint-Bernard de Sorel. Après une retraite à Saint-Benoît-du-Lac, il décide d'entrer chez les moines. En 1961, il prononce ses vœux monastiques temporaires chez les cisterciens de Rougemont. En 1962, une grave maladie lui fait frôler la mort. À partir de l'année 1966 jusqu'à la fin de ses jours, il vivra en compagnie de sa sœur religieuse dans la maison paternelle, établie à Montréal et retrouvera une vie sociale active. Tous les honneurs mérités par l'abbé Gadbois du temps de la Bonne Chanson : Croix d'or de Saint-Jean-de-Latran ; Ordre des Chevaliers de Sinaï, Ordre de Sainte-Croix-de-Jérusalem, Officier de l'Ordre Académique «Honneur et Mérite» de la Société du Bon Parler Français, n'auront d'égal que la fête organisée en son honneur à l'occasion de son 50e anniversaire de prêtrise, en 1980 où 1000 invités rendent hommage au prêtre et à son œuvre. Né le 1er juin 1906, Charles-Émile Gadbois mourut le 24 mai 1981. En 1986, la Fondation abbé Charles-Émile Gadbois est créée pour perpétuer son œuvre et le but est de supporter les artistes qui désirent faire carrière dans l'art vocal et assurer le rayonnement de la culture française.