Coiffer sainte Catherine
En France à l'occasion de la fête de sainte Catherine, les jeunes filles étaient chargées de vêtir et de coiffer les statues représentant leur sainte patronne. Souvent, cette tradition variait selon les coutumes vestimentaires propres à chaque région. La tâche de coiffer revenait à la plus expérimentée d'entre elles, en d'autres mots, la plus âgée de la confrérie. Ainsi, celles qui ne trouvaient pas mari, plus vieilles d'années en années, coiffaient la statue, une année suivant l'autre. C'est probablement pour cette raison que sainte Catherine, d'abord patronne des jeunes filles à marier, devint de plus en plus associée aux vieilles filles. Connue à la fin du Moyen âge à la grandeur de la France, cette coutume fut aussi notée en Suisse et en Belgique. Au Canada français, la coutume de coiffer la statue n'a jamais existé. Cependant, dans certaines paroisses dédiées à sainte Catherine ou dans les églises où trônait sa statue, les jeunes filles avaient l'habitude de déposer un bouquet de fleurs pour souligner l'anniversaire de leur sainte patronne. L'expression «coiffer sainte Catherine» a tout de même survécu à la coutume. Au Québec, le 25 novembre a longtemps représenté une journée de fête pour les filles non mariées. À cette occasion, celles qui atteignaient leur 25e année étaient officiellement considérées comme vieilles filles et, bon gré mal gré, on les coiffait d'un bonnet. Pour les plus jeunes, le 25 novembre s'avérait une journée idéale pour la recherche d'un mari, les rencontres étant facilitées par la fête. Cette période de l'année était aussi propice aux célébrations de mariage et par le fait même aux rencontres entre jeunes gens. Malgré tout, il n'y a pas si longtemps encore, comme les chances de se marier après 25 ans pour les filles se faisaient de plus en plus minces, un vieux dicton mentionnait : «À la Sainte-Catherine mieux vaut mauvais mari que bonnet trop joli». On rapporte à ce propos que le fondateur de l'Académie française, Conrart, interrogé au sujet de l'expression «rester vieille fille», limita ce phénomène par une réponse en vers (Trépanier, 1960: 91-92.) :
Au-dessus de vingt ans, la fille, en priant Dieu,
Dit: «Donnez-moi, Seigneur, un mari de bon lieu!
Qu'il soit doux, opulent, libéral, agréable!»
À vingt-cinq ans: «Seigneur, un qui soit supportable,
Ou qui, parmi le monde, au moins puisse passer!»
Enfin, quand, par les ans elle se voit presser,
Qu'elle se voit vieillir, qu'elle approche du trente:
«Un tel qui te plaira Seigneur, je m'en contente».
Coiffer sainte Catherine n'avait rien de réjouissant pour certaines, touchées par les moqueries et parfois même considérées avec un certain mépris et marginalisées. En d'autres temps de l'année, on leur offrait des condoléances, on leur envoyait des valentins anonymes et sarcastiques ou on s'amusait à leur faire courir le Poisson d'avril. Des témoignages nous apprennent que «les vieilles filles» devaient se faire discrètes, s'habiller de vêtements plus sombres, ne plus prendre part aux soirées. À défaut de se retirer d'elles-mêmes, le vide se faisait de toute façon autour d'elles.
Jusque dans la première partie du XXe siècle, la Sainte-Catherine donnait lieu à des veillées de musique, de danse et de chansons dans les campagnes québécoises. Les filles célibataires y étaient fêtées et tout était mis en oeuvre pour favoriser la rencontre d'un futur prétendant. On encourageait les garçons et les filles à danser en couple. Les catherinettes ou les vieilles filles, comme on les appelait, c'est-à-dire celles qui avaient franchi le cap des 25 ans étaient parfois particulièrement éprouvées lors de ces soirées. Coiffées du bonnet de circonstance, leur sens de l'humour était rudement mis à l'épreuve comme en témoigne un de ces joueurs de tours qui se souvient qu'on les faisait asseoir dans une cuvette d'eau froide.
En Acadie, une vieille coutume maintenant disparue se déroulait ainsi :«On leur mettait sur la tête un bonnet blanc et pointu. En certains endroits, on leur faisait revêtir une robe verte, signe d'espérance, et on les obligeait à danser dans une auge à cochon [...]». (Dupont, 1977: 332).
La tire Sainte-Catherine
Selon la petite histoire, Marguerite Bourgeoys aurait ouvert les portes de sa première école le 25 novembre 1658, jour de fête de sainte Catherine d'Alexandrie. Les historiens quant à eux fixent cette date au 30 avril 1657, jour de la fête de sainte Catherine de Sienne. Erreur sur la personne ou erreur sur la date? On peut seulement dire que le 25 novembre était célébré depuis le début du Régime français en Amérique et l'on peut croire que Marguerite Bourgeoys, qui accueillait à son école les Filles du Roi, ne pouvait passer sous silence ce jour particulier de la fête de la sainte patronne des filles à marier.
La tradition de fêter la Sainte-Catherine à l'école remonterait-elle jusqu'à la première fête donnée par Marguerite Bourgeoys ? Chose certaine, le 25 novembre a longtemps été une journée fort agréable pour les écoliers. Au XIXe siècle, cette journée de festivités faisait place aux pièces de théâtre montées par les élèves qui jouaient souvent le martyre de sainte Catherine. Ensuite prenaient place les jeux organisés, les chansons et les mascarades. Plus récemment, la Sainte-Catherine fut l'occasion de présenter des films sur grand écran dans les écoles. La fête prenait plus ou moins d'importance selon les écoles, selon la direction et les enseignants ; des témoignages laissent croire qu'ils y voyaient une belle source de motivation pour maintenir la discipline jusqu'à cette journée tant attendue où l'école appartient aux écoliers. En tous cas, des permissions exceptionnelles étaient accordées : mâcher de la gomme, commettre de petites indisciplines, mais d'abord et avant tout manger de la tire à satiété, tire que l'on préparait souvent sur place et que les élèves prenaient plaisir à étirer. Dans les écoles privées où l'on formait les théologiens et les philosophes, ces derniers prenaient en charge l'organisation de la fête de leur sainte patronne : «Comme il sied, la qualité de philosophe procure des privilèges, le plus estimé étant celui de préparer la fête de Sainte-Catherine. Bals, comédies, bâtons de tire, pommes, discours, chansons, ch?urs : voilà ce que ramène annuellement la Sainte-Catherine.» (Lebel, 1965: 252)
La célébration de cette fête n'allait pas sans manger de la tire à l'école comme à la maison. L'origine de cette friandise serait une invention de Marguerite Bourgeoys, première enseignante en Nouvelle-France. Fait légendaire ou historique, on raconte qu'elle en aurait fabriqué pour attirer les enfants à son école, surtout les petites «sauvagesses». Quoi qu'il en soit, le succès de la tire Sainte-Catherine dure depuis 350 ans. À la maison, les femmes la préparaient selon des recettes fort simples et la coutume voulait qu'on laisse aux jeunes le soin de l'étirer. À la cadence d'une chanson bien rythmée, la tire prenait peu à peu sa texture et sa belle couleur. Le moment de plier le long cordon n'était certainement pas à dédaigner. «En effet, un jeune homme et une jeune fille, étirant le même morceau de tire, pouvaient, quand tous deux se rapprochaient pour plier les deux extrémités du cordon doré, s'embrasser rapidement, ce qui faisait éclater les cris et les rires de ceux qui avaient eu le temps de les voir.» (Desdouits, 1987: 389-390).
Fabriquée à la maison ou de facture commerciale, la friandise en forme de papillote est désignée par plusieurs appellations populaires. «Tire» est le mot le plus connu pour désigner la confiserie que l'on «étire», indispensable pour fêter la Sainte-Catherine, et ce terme n'existe nulle part ailleurs que dans le parler français en Amérique. La première attestation écrite du mot déjà consacré par l'usage remonte à 1810. Bien que le mot n'ait jamais perdu sa popularité, dans certaines régions du Québec on emploie aussi les mots «kiss» ou «klondike» en parlant de ces petits bonbons souvent enveloppés de papier ciré pour former une papillote. Kiss est un mot anglais (un baiser en français) aussi employé pour désigner une friandise au chocolat enveloppée dans une papillote. Quant au mot «Klondike» et ses variantes «klondake» ou «klendail», il est employé en parlant de la tire en papillote à cause de la ressemblance des bouchées de tire, d'un beau jaune doré, avec les pépites d'or tant vantées du Klondike à l'aube du XXe siècle.