Bouillon, bière et vin
«Bouillon», bière et vin étaient de consommation courante en Nouvelle-France. Si le «bouillon», sorte de bière domestique, se buvait communément dans toutes les maisons, la bière et surtout le vin semblaient réservés aux gens plus fortunés ou, à tout le moins, pour des occasions particulières. Plusieurs brasseries ont vu le jour à Québec : celle des Récollets dès 1622, celle de la famille Hébert en 1627, celles des Jésuites à Notre-Dame-des-Anges et, en 1647, à Sillery pour ne nommer que celles-là.
Le contexte favorable, ajouté aux impératifs financiers qui voulaient, d'une part, assurer des débouchés consistants pour les colons et, d'autre part, faire entrer des espèces sonnantes dans la colonie, n'a pu échapper au nouvel intendant, Jean Talon, qui établit à ses frais la Brasserie du Roy sur la rive droite de la rivière Saint-Charles. Commencée au printemps 1670, sa production annuelle allait atteindre, du moins l'espérait-on, jusqu'à 4 000 barriques de bière, réparties entre le marché local et les Antilles. Pourtant, ce ne fut que «feu de paille», puisque, peu après le départ de son créateur et protecteur, la Brasserie cessa complètement ses activités en 1675.
Naguère tant décriés par les autorités civiles et religieuses, les commerçants d'eau-de-vie et de vin, aux intérêts mercantiles moins généreux, venaient de gagner cette première guerre commerciale. Et de belle manière, puisqu'en 1739 la Nouvelle-France importait 775 166 bouteilles de vin pour satisfaire une population adulte de 24 260 habitants. Une consommation équivalente à plus du double de celle d'aujourd'hui !
(Ce texte est une collaboration de l'archiviste Gilles Héon des Archives nationales du Québec à Québec.)
À propos de la cuisson de la nourriture sous le régime français
Au temps du Régime français, deux principaux modes étaient utilisés pour la cuisson des aliments: l'âtre ou le poêle. Chaque maison possédait un âtre autour duquel on se regroupait pour se réchauffer, mais c'était aussi, dans la plupart des habitations, le seul moyen dont on disposait pour cuire la nourriture. Un accessoire indispensable pour assurer cette fonction, la crémaillère, était toujours associée à l'âtre. Elle servait à la suspension des marmites au-dessus du feu. L'analyse de quelques inventaires après décès dressés durant la période 1730-1740 par le notaire Abel Michon, de la Pointe-à-la Caille (aujourd'hui Montmagny), révèle l'existence systématique de cet accessoire dans chaque maison. D'ailleurs, les documents commençaient très souvent par «premièrement s'est trouvé une crémaillier» !
Plus rarement, on disposait d'un autre instrument de cuisson soit le poêle. Il s'agissait en fait d'une plaque de fer qu'on déposait sur un carré de pierres ou de briques à la base duquel on installait une porte de fer. Il était relié à la cheminée par un tuyau de tôle pour laisser s'échapper la fumée. Chez Jacques Tallebotte, le 22 mars 1730, se trouvaient une «porte de poille», «une plaque de poille» et «une vieille feille de tolle». En fait, ce poêle ressemblait aux évaporateurs utilisés dans les érablières jusqu'au premier tiers du XXe siècle.
Enfin, quelques ustensiles invariablement associés à la cuisson des aliments figuraient dans les cuisines à l'époque du Régime français. Comme la plupart de ses contemporaines, Agnès Bouchard, veuve de Joseph Morin dit Valcourt, possédait le 4 juillet 1731, «trois marmites avec ses couvercles, une poille, un poillon, un gril et une broche à rotire». Pendant très longtemps, ces objets suffiront à satisfaire l'une des importantes activités de la vie quotidienne : la cuisson de la nourriture.
(Ce texte est une collaboration de l'archiviste Denis Casault des Archives nationales du Québec à Québec.)
Piquage et casernement
«Donnez-vous bien de garde de faire la sottise de vous faire piquer.» Ainsi le vieil Antoine Pécaudy de Contrecoeur admonestait-il son fils, François, sur le point de partir à l'armée. En effet, dès le XVIIe siècle, il était coutume chez les jeunes hommes d'imiter les Amérindiens et de se faire piquer ou tatouer pour afficher leur bravoure. Toujours est-il que, avec ou sans tatouage, le saura-t-on jamais, le jeune François fera une longue et brillante carrière dans les troupes de la Marine, ainsi appelées parce qu'elles relevaient du ministère de la Marine, chargé de la colonie.
Distinctes des troupes régulières, formées d'officiers et de soldats de carrière venus de France, les troupes de la Marine accueillaient des soldats, généralement d'origine modeste et sans formation militaire, recrutés en France. Les officiers, quant à eux, venaient tous, au début, de la France et, au XVIIIe siècle, des familles aisées de la colonie. Ils parcouraient tout le continent pour la défense des frontières françaises en Amérique du Nord. Une solde assurée, des possibilités de promotion sociale, le goût de l'aventure et, s'ils étaient Français, l'encouragement à s'établir pour «augmenter la colonie» ont dû en attirer plusieurs. Logeant au début chez l'habitant où il recevait outre le lit, le «couvert, la paillasse, la marmite ou la chaudière et la place à son feu», le jeune soldat contribuait en retour aux travaux quotidiens et... y rencontrait la fille de la maison.
Pourtant, l'obligation faite à l'habitant d'accueillir le soldat, sorte d'impôt déguisé, n'était pas toujours bien perçue. Le soldat, loin de ses supérieurs et de la discipline, pouvait causer du trouble et se livrer à quelque abus. Vive alors le casernement! À Montréal, les citoyens se cotisent pour louer des bâtiments en vue d'y loger les troupes. À Québec, un projet de nouvelles casernes prend forme. Elles seront construites par étapes entre 1712 et 1745 à proximité de la redoute Dauphine, toujours à la charge des coloniaux. Autre forme du même impôt?
(Ce texte est une collaboration de l'archiviste Gilles Héon des Archives nationales du Québec à Québec.)
Se faire soigner en Nouvelle-France
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la médecine humorale, alors à l'honneur en Europe, définit la maladie comme un déséquilibre des humeurs, soit les substances liquides contenues dans le corps humain. Le traitement a alors essentiellement pour but d'évacuer les humeurs ou d'en modifier la qualité. Pour y parvenir, on a principalement recours à une riche pharmacopée, aux lavements ou à la saignée.
La médecine humorale s'est transplantée sans heurts en Nouvelle-France. Bien que l'on y rencontre alors quelques médecins et apothicaires, l'essentiel de la pratique médicale se retrouve entre les mains des chirurgiens qui font office de généralistes. En 1751, le Canada peut compter sur 50 praticiens. Parmi eux figure Jean-Baptiste Lelièvre dit Duval, chirurgien français installé à Québec vers 1725. Comme en fait foi le compte médical qu'il présente en 1750 à l'un de ses patients, sa pratique est conforme à ce qui se fait en France à la même époque. Saignées et lavements côtoient le recours à des médicaments. Le contenu des tisanes et des médecines n'est pas détaillé, mais il est probable que la majorité des produits de base proviennent de l'extérieur de la Colonie. À côté de produits introduits au XVIIe siècle, tels le quinquina et l'ipécacuana, apparaissent : la thériaque, la panacée universelle qui remonte au temps de Néron; le séné, un purgatif connu des Grecs et popularisé par les Arabes à partir du VIIIe siècle; ou encore le safran, qui faisait l'objet d'un commerce dès l'époque des croisades.
(Ce texte est une collaboration de l'archiviste Rénald Lessard des Archives nationales du Québec à Québec.)