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De coutume en culture

Il y a toutes sortes de rituels d'entrée et de sortie, des plus simples aux très formalisés. L'entrée en religion est marquée par la prise de voile ou d'habit et l'ordination qui sont des rituels propres aux communautés religieuses et reconnus comme très structurés. Il en est de même des légendaires histoires d'initiation de certaines sociétés secrètes ou confréries tel que les Chevaliers de Colomb. La plupart de ces rites sont soutenus par des cérémonies, des gestes et des signes, des marques qui permettront à l'initié d'être agrégé au nouveau groupe. Dans plusieurs cas, il revient au candidat de demander son admission. L'initiation est donc volontaire et c'est librement que l'initié la subit. Enfin, d'autres rites de cette catégorie se rattachent plutôt à des moments de la vie comme l'entrée à l'école ou, à l'opposé, la fin des études.

Les initiations scolaires

L'initiation comme rite d'entrée à l'école est très populaire au Québec, particulièrement dans les universités. C'est là que se forment les cohortes d'étudiants selon les programmes d'études et que se développe le sentiment d'appartenance à la promotion. Pour plusieurs, le lien entre la rentrée universitaire et l'initiation est automatique : celle-ci a pour fonction d'accueillir les nouveaux venus dans la discipline et dans le milieu, de les intégrer au groupe des plus vieux en leur apprenant le respect des traditions des anciens et enfin, d'instaurer une convivialité entre les étudiants d'une même fraternité.

Les initiations scolaires, appelées aussi bizutage, sont des cérémonies étudiantes qui consistent en épreuves visant à ce que le bizut, c'est-à-dire l'élève de première année d'un programme ou d'une faculté, puisse prendre contact rapidement avec son nouveau milieu de vie. Malgré l'aspect ludique de certaines épreuves, l'initiation est plus qu'un jeu. Derrière plusieurs rites, il y a apprentissage des valeurs du groupe et affirmation identitaire. C'est aux étudiants de 2e ou 3e année que revient l'honneur d'initier les nouveaux qui doivent, en premier lieu, reconnaître la supériorité des aînés. Une série d'épreuves vise d'abord à installer ce climat. Les initiations scolaires modernes ont perdu le sens sacré qu'elles avaient auparavant. De cérémonies vécues individuellement comme dans le cas d'adhésion à une société secrète ou à une fraternité dans un collège, elles sont devenues collectives et purement profanes. Elles sont caractérisées par des excès dionysiaques, du grimage et par la mise en scène de jeux et simulacres parfois à connotation sexuelle, le tout se déroulant dans une atmosphère de fantaisie, de compétition et de licence. Ces débordements d'exaltation collective, en apparence dépouillés de sens pratique, sont loin d'être dépourvus de significations. Parmi plusieurs de ces pratiques, il y a des survivances de rites anciens que l'on retrouve dans des éléments comme le costume ou le déguisement, les épreuves alimentaires et l'utilisation outrancière de boissons ou encore, le marquage, grimage et tatouage emblématiques.

Les initiations étudiantes contemporaines ont un déroulement type. Prenons l'exemple de celles qui ont lieu chaque année à la rentrée scolaire dans les universités au Québec. Il y a généralement deux moments qui caractérisent leur déroulement : la préparation à l'initiation et l'initiation comme telle. Les futurs candidats reçoivent par courrier quelques jours avant la rentrée des indications sur le thème de l'initiation, le costume à porter et les consignes ou directives à suivre. Un dossard portant les initiales du programme d'études servant à identifier le groupe est souvent exigé. Dans certaines facultés ou programmes, la préparation est plus élaborée et comprend déjà des épreuves: par exemple, trouver et apporter tel objet difficile à acquérir. Le jour de la rentrée, les nouveaux passent à l'évaluation de leur costume et subissent des sanctions si le déguisement est inadéquat. Pour ceux qui ont omis le déguisement ou feint de l'apporter, les responsables de l'initiation ont souvent prévu de les vêtir de grands sacs à ordures. L'initiation peut se dérouler entre 1 et 4 jours, la première semaine des cours. Les épreuves, activités ou rassemblements se font en dehors des cours qui ont lieu comme prévu. Les jeux se font sous forme de concours en équipe et opposent souvent les garçons aux filles. Épreuves à coloration sexuelle, épreuves sportives ou de type physique, jeux intellectuels comme des faux cours et faux examens, jeux de compétition, jeux d'imitation comme les concours d'improvisation, jeux de vertige et d'adresse avec des ballons d'eau ou qui exploitent diverses prouesses corporelles, absorption de mélanges de mets et d'ingrédients déplaisants au goût, soumission à des exercices de souillure physique composent le répertoire des activités réparties sur les journées d'initiation. L'une des activités favorites consiste à organiser un rallye sur le campus universitaire, sorte de chasse aux trésors avec indices. Cette activité vise à explorer les lieux et à se familiariser avec le fonctionnement de l'Université, les divers pavillons et services offerts à la communauté étudiante. Plusieurs activités sont des rassemblements prétextes à la fête et aux partys, dans des sites à l'extérieur du campus. Dans certaines facultés où les associations étudiantes disposent de budgets plus imposants, l'organisation de l'initiation de la rentrée est plus sophistiquée et nécessite de nombreux préparatifs. De nos jours, l'initiation comporte des frais pour la location de site, le transport, l'achat de matériel nécessaire aux activités et à la fête. En somme, lors de son inscription, le nouveau doit payer pour être initié ce qui est certainement un incitatif à la participation même si on la dit la plupart du temps libre. Il peut en coûter entre 15$ et 200$ selon les programmes. Les initiations universitaires actuelles présentent certaines analogies avec celles qui marquent le passage de la puberté à l'âge adulte et plus généralement avec les trois phases définies par van Gennep.

Les épreuves de type physique qui mènent à l'essoufflement et au vertige par exemple [Insérer PH570.tif], les sévices corporels comme la flagellation visent à insensibiliser l'initié. Ce sont des rites de séparation qui consistent à "faire mourir le novice", c'est-à-dire à lui faire oublier sa personnalité première ou son statut antérieur. Durant l'initiation, l'individu est coupé de son monde, il est mis en marge de l'humanité commune dans l'attente de l'acquisition d'un nouveau statut, ici le statut d'étudiant. Ces rites de séparation et de marginalisation sont accentués d'abord par le changement de vêtements pour un costume aux allures de déguisement. Le symbolisme de la couleur blanche n'est pas étranger à cette mort symbolique. Vidés de leur sang, les morts prennent une couleur livide. Le port d'un costume marque une différenciation temporaire puis collective liée à une nouvelle identité propre à chaque groupe. Aussi, il faut voir dans l'acte de boire pendant les jeux et les partys de l'initiation, un rite d'agrégation comme le baptême qui rend effective l'intégration au nouveau groupe. Ne chante-t-on pas à celui qui réussit le concours du meilleur buveur : "Il est des nôtres!" Souvent même l'agrégation devient définitive lorsque, les épreuves terminées, on appose une marque emblématique sur le corps de l'initié. Enfin, la fête finale, où l'alcool coule à flots et qui se déroule dans un site clos, se veut l'apothéose de l'initiation. Après avoir supporté quelques épreuves pendant 3 à 4 jours, l'étudiant acquiert son nouveau statut, puis le groupe qui vient de l'adopter l'aidera à passer au travers des rigueurs de sa formation universitaire. La véritable consécration ne lui sera toutefois accordée que s'il réussit ses examens à la fin de son cours pour se rendre à la remise des diplômes lors de la collation des grades.

La collation des grades

La fin des études marque une étape importante dans la vie d'un jeune homme ou d'une jeune femme. Selon un parcours normal, c'est le moment où, ayant fini ses classes, le jeune commence son entrée régulière sur le marché du travail rémunéré. Dans la société traditionnelle québécoise, c'est vers l'âge de 14 ou 15 ans que se faisait la clôture de la vie scolaire. Le jeune garçon pouvait partir travailler dans les chantiers et la jeune fille restait à la maison pour accomplir divers travaux domestiques ou allait travailler en ville. La distribution des prix de fin d'année et des diplômes de la fin des cycles du primaire se faisait à l'école sous les auspices de l'institutrice, du curé de la paroisse et du commissaire.

De tous les rituels associés à l'école, la collation des grades est sans aucun doute la plus officielle des cérémonies. Recevoir son diplôme constitue l'agrégation définitive, la reconnaissance ultime des pairs. Ce rituel de sortie, de fin de cycle d'études, se fait en grande pompe avec décorum. Toge et mortier, tapis rouge et cortège, séance officielle de photographie, rien n'est ménagé pour les diplômés.

Jusque dans les années 1950, à la fin du cours classique, cette cérémonie s'appelait la prise de rubans. Au Petit Séminaire de Québec, elle se déroulait dans une grande salle qui portait d'ailleurs le nom de Salle des promotions. Le président de la classe recevait dans le secret le choix de vocation de chacun des finissants. Les S?urs Franciscaines Missionnaires de Marie étaient alors chargées de découper les rubans et d'y inscrire le nom du finissant, l'année et la vocation. Chaque orientation avait sa couleur de ruban : violet pour les études de prêtrise au grand Séminaire; rouge pour la médecine; bleu pour le droit et jaune pour les sciences. Les rubans étaient disposés sur un plateau d'argent lors de la cérémonie. Chaque étudiant s'avançait et allait chercher son ruban tandis que le président annonçait le choix du candidat. Un membre de la famille fixait ensuite le ruban sur la poitrine du finissant. Souvent les parents apprenaient le choix définitif de leur enfant lors de cette cérémonie car plusieurs étaient pensionnaires. La prise de rubans se faisait habituellement à la fin du cours classique qui durait huit ans, soit après Philo II. Selon les collèges, il y avait aussi une cérémonie qui marquait la fin des études de la 11e année, appelée petite prise de rubans.

Le bal des finissants

Le bal des finissants est certainement le plus populaire parmi tous les rituels de sortie. Souligner la fin d'un cycle d'étude par un bal, voilà bien le but de cette cérémonie de plus en plus sophistiquée. Pour la plupart, c'est la première sortie de ce genre sans les parents. Ils ont  16, 17 ou 18 ans et ils viennent de terminer leur secondaire V avec mention réussite. Pour marquer ce passage vers les études collégiales ou vers le marché du travail, quoi de mieux qu'un party unique dont on se souviendra longtemps! Dès le début de l'année scolaire en septembre, un comité organisateur est mis en place car un événement d'une telle envergure ne s'improvise pas à la dernière minute. Le comité du bal s'occupe du traditionnel album souvenir qui comprend la photo des quelques 400 à 500 finissants de cette promotion, accompagnée d'un court texte descriptif de la personne. Séance de photos, rédaction d'une pensée, mot, poème, acrostiche occupent les finissants. Un autre symbole qui marque la fin du secondaire est le jonc ou la bague de graduation offerte aux garçons comme aux filles. Enfin, le comité du bal organise des activités de financement qui serviront entre autres à couvrir les frais de location de la salle de bal, la décoration, les prix de présence et les méritas.

Il faut louer une salle d'une grande capacité : les finissants viennent souvent accompagnés au bal de fin d'année. Les grands hôtels sont en demande et les réservations se font tôt. Ceux et celles qui n'ont pas l'intention de passer la nuit debout à l'après-bal peuvent aussi louer des chambres. L'après-bal qui clôture la fête officielle a des allures de licence. Les invitations à ce rendez-vous nocturne sont bien organisées, mais elles se font aussi de bouche à oreille pour les jeunes qui ne font pas partie de la promotion finissante. L'après-bal se déroule la plupart du temps dans un lieu en plein air, terrain de camping, chalet privé ou condominum et peut durer deux à trois jours.

Si on accorde autant de soins et d'efforts à la préparation de cet événement, c'est que le bal des finissants est l'un des moments importants de la vie des jeunes; pour certains d'entre eux, le suivant sera probablement le jour de leur mariage. Pas étonnant qu'on veuille une tenue d'occasion pour se faire remarquer par son entrée au bal. Audace et originalité guident le choix de la tenue d'apparat. Les filles visent l'exclusivité et plusieurs d'entre elles choisissent la confection sur mesure pour leur robe d'un jour. Les garçons vont souvent louer un smoking mais ils recherchent eux aussi l'originalité, qui se traduira dans leurs chemisiers et accessoires, voire dans leurs cheveux. Comme disait un finissant : «Il y a un show à faire le soir du bal !» Le choix de la tenue se fait donc en fonction de l'effet à produire. Les préparatifs incluent également les soins corporels comme la coiffure et le maquillage. Une fois les préoccupations vestimentaires et esthétiques réglées, ce qui peut s'étaler pendant plusieurs semaines, il faut aussi organiser la soirée comme telle : accompagnement, transport aller et retour, cocktail, autre tenue pour l'après-bal. Dans ce domaine, les coutumes varient selon les années et les modes.

Le deuxième temps de la fête est tout un contraste avec le bal; les finissants délaissent robes longues et smoking, talons hauts, plate-forme et souliers vernis pour mieux revêtir jeans et espadrilles, histoire d'être plus à l'aise. L'après-bal représente l'agrégation ultime: pendant une journée complète, ils auront «joué» le rôle de finissant qui, symboliquement, est un premier pas dans l'entrée du monde adulte. Aux rites formels à caractère initiatique du bal se juxtaposent les procédures informelles et licencieuses de l'après-bal.

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