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De coutume en culture

Certains aspects du carnaval s'apparentent à ceux du théâtre. On ne saurait concevoir une telle fête sans le déguisement et le port du masque, sans mascarade. Dans ses manifestations, le carnaval donne lieu à un jeu théâtral auquel la collectivité participe. Même dans ses formes anciennes, ceux qui se déguisaient jouaient un rôle sur la place publique et se prêtaient à des mises en scène plus ou moins formalisées, sous des allures spontanées. Dans les carnavals modernes, les masques et les déguisements persistent comme accessoires de la fête.

Se masquer

La coutume de se masquer remonte au moins à l'Antiquité. Le mot «masque» viendrait d'un mot de l'ancienne Italie maska dont le radical «mask» signifie «noir». Une autre hypothèse le fait dériver de l'italien maschera désignant de façon ambivalente «l'âme du défunt et l'esprit bienfaisant ou malfaisant avec lequel elle pouvait se confondre. Le masque est l'image artificielle dont se pare le sorcier, le prêtre ou l'initié, mais c'est surtout l'esprit lui-même» (Feuillet, 1991: 90). Le même mot signifie en français «fille ou femme effrontée» du bas latin masca pour sorcière. Masque en ce sens nous a donné le dérivé «mascotte» qui désigne un porte-bonheur ou un sortilège bienfaisant. Qu'elle représente un animal, une personne ou un objet, la mascotte est un élément qui accompagne plus d'un carnaval moderne. Il faut également rapprocher l'étymologie italienne maschera du mot anglais mascara, fard familièrement utilisé pour maquiller les cils.

D'origine magico-religieuse, le port du masque à des fins ludiques a longtemps été considéré par l'Église comme un acte sacrilège qui remet en cause l'image originale donnée par Dieu le Créateur. Avant de devenir un accessoire populaire, le masque a conservé son caractère sacré puisqu'il était uniquement utilisé dans le déroulement de danses religieuses et de cérémonies magiques ou funéraires. Le théâtre lui a ouvert une nouvelle voie pour se développer. Son utilisation dans le jeu théâtral lui vaut sa démocratisation et son caractère populaire. Depuis l'Antiquité jusqu'aux sociétés pré-industrialisées, le masque était réduit à sa plus simple expression. L'artifice du fard par des matières simples comme la suie, la boue, la farine a permis pendant longtemps de dessiner ce maquillage amovible. Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle en Europe que le masque en carton peint ou en papier mâché a commencé à se répandre. Mis à part leur présence dans les fastueux bals masqués de la cour française dès le XVIIe siècle, les masques étaient souvent réservés aux hommes célibataires, adolescents ou mariés sans enfants dans les couches populaires. Jusqu'à tout récemment, dans plusieurs carnavals traditionnels, les femmes étaient souvent absentes ou exclues des rituels carnavalesques comme la mascarade et les défilés. Le caractère universel du masque est le fait des carnavals modernes et urbains.

Se déguiser

Les déguisements ne sont pas le seul apanage du carnaval. De nos jours, on les trouve assurément au théâtre où ils permettent aux acteurs de se glisser dans la peau de leur personnage, mais aussi dans de multiples occasions accessibles à tous les groupes d'âges tout au long de l'année. Lors de réceptions fantaisistes, de bals costumés, de soirées d'Halloween, d'un rave, on se déguise et on se costume, le temps d'un rite. À certains égards, «même la mode offre cette possibilité quotidiennement» (Mathieu, 1988: 44). Le carnaval n'apparaît plus le seul moment pour se déguiser, bien que le travestissement soit l'une de ses manifestations privilégiées. Le corps devient alors le support d'une fonction ou d'un rôle révélé par un costume, un uniforme, un masque. Le déguisement transforme l'identité de son porteur qui s'exhibe sous d'autres traits. En somme, se déguiser c'est s'identifier à un autre et dissimuler sa propre identité.

Même lorsqu'ils sont élémentaires et improvisés avec des moyens de fortune, les déguisements de carnaval insistent sur des inversions ou des contraires ayant rapport au sexe et à l'âge. En effet, quoi de mieux pour défier l'autorité ou la condition sociale que d'inverser les rôles pendant cette période permissive. L'homme déguisé en femme ou en nouveau-né, ou travesti en animal sont parmi les déguisements les plus populaires. D'autres thèmes comme un personnage historique, politique ou religieux sont aussi exploités dans l'accoutrement carnavalesque. Bref, le choix d'un déguisement, même s'il est laissé à la liberté de chacun, révèle la personnalité de celui qui le porte. Cela est d'autant plus vrai que dans les carnavals d'aujourd'hui on parle de se costumer pour se déguiser. L'idée d'un costume renvoie à quelque chose de plus élaboré, préparé, réfléchi. Le déguisement simple semble avoir graduellement fait place au costume. De grandes fêtes urbaines organisées perpétuent d'ailleurs la tradition de porter un costume ou une tenue officielle comme élément d'identification à l'événement.

Prendre un petit coup

Dans bien des cas, les réjouissances carnavalesques mènent à certains excès alimentaires et la coutume de «prendre un petit coup» y est très liée. Boissons improvisées, de fabrication clandestine ou commerciale, prises sur les places publiques donnent une atmosphère «réchauffée» aux réjouissances collectives qui se déroulent parfois sous des climats rigoureux. Pour les Québécois, cette atmosphère rappelle la période du temps des fêtes que certains distinguent à peine de celle du carnaval. Pour plusieurs, le temps du carnaval tel que défini par le calendrier est ni plus ni moins que la continuité des veillées et des visites entreprises depuis Noël jusqu'aux Rois. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les festivités du carnaval proprement dit se limitent strictement aux jours gras, avec une pointe le Mardi gras qui termine la période. L'organisation de fêtes hivernales à Québec a cependant étendu les festivités carnavalesques sur une plus longue durée que les trois jours gras.

Le Carnaval de Québec

Au Canada français, le premier véritable carnaval est organisé en 1883 à Montréal sous les auspices d'un jeune avocat Robert D. McGibbon, membre du Montreal Snow Shoe Club. À cette époque, les divertissements sont le fait de la population anglophone qui organise ses loisirs en sports comme le curling, les randonnées en raquettes et les courses de chevaux. Elle fonde également des clubs avec cotisations et activités formelles. L'organisation d'un carnaval d'hiver a pour objectif de mettre en place des rencontres amicales et des compétitions entre les divers clubs anglophones de Montréal et des villes canadiennes et américaines voisines. Des objectifs économiques et touristiques sont donc clairement définis dès le départ. Le premier carnaval propose un ambitieux programme d'activités d'une semaine et les organisateurs font construire pour l'occasion un énorme palais de glace. Les activités se regroupent en deux types : des activités ponctuelles comme un défilé, un bal, une marche aux flambeaux et des activités hebdomadaires comme le patinage, la glissade, des randonnées en raquettes sous forme de compétition et de concours. Fête d'élite, ce carnaval se déroule surtout dans l'ouest de la ville de Montréal et provoque un malaise entre francophones et anglophones.

Entre 1883 et 1889, cinq carnavals ont eu lieu l'expérience de ce carnaval a été répétée cinq fois en tout. Plusieurs causes expliquent l'abandon de la fête. Son succès fulgurant au départ devient vite source de jalousie à cause des frictions entre les organisateurs et les commerçants qui bénéficient des retombées économiques mais qui se font de plus en plus prier pour financer l'événement. Les tensions entre francophones et anglophones n'aident pas non plus à définir un climat sain de collaboration.

Il faut attendre 1894 pour qu'un carnaval voit le jour à Québec. L'événement de 6 jours a lieu du 29 janvier au 3 février. Comme à Montréal, le carnaval émerge de la communauté anglophone qui regroupe les notables et les commerçants. Leurs loisirs, organisés sous forme de clubs, sont au cœur des activités du carnaval. Très en vogue à la fin du XIXe siècle, les clubs de raquetteurs jouent un grand rôle dans l'organisation de l'événement. Courses en canots sur le fleuve, tournois de curling, joutes de hockey, glissades en traîneaux et divers concours comptent au nombre des activités à caractère sportif. Un bal au Parlement, des défilés aux flambeaux, des mascarades et des feux d'artifice sont également au programme officiel du carnaval de Québec. Pour inaugurer ce carnaval, on érige aussi un château de glace face au Parlement et de nombreux monuments sculptés dans d'immenses blocs de glace taillés à même le fleuve Saint-Laurent.

Toutes ces composantes vont donner le ton à la fête hivernale la plus ancienne au Canada. «Ce premier carnaval de 1894 fut suivi de plusieurs autres mais il fut épisodique ou irrégulier. Il fut d'ailleurs interrompu pendant la guerre 14-18 et lors de la crise économique des années 30» (Lacroix, 1995: 8).

En 1954, un groupe de gens d'affaires déterminés relance le carnaval de Québec qui se poursuit de façon ininterrompue jusqu'à aujourd'hui. Le succès de l'événement repose sur sa vocation touristique car il constitue la plus grande fête hivernale en Amérique du Nord. Ses principaux attraits sont sans contredit les sculptures de neige et de glace érigées ici et là sur les devantures des commerces ou dans les parcs publics ainsi que la course en canots sur le fleuve. De renommée internationale, le carnaval bénéficie d'un ambassadeur remarquable et qui est la figure dominante de toutes les activités : Bonhomme carnaval. Ce personnage est plus qu'une mascotte. Son effigie est celle d'un bonhomme de neige, cette sculpture enfantine que les petits Québécois se plaisent à modeler dans la neige fraîchement tombée.

D'une durée de 17 jours consécutifs, le carnaval se déroule en plein cœur de la Vieille Capitale et a toutes les allures d'un fête populaire. Chaque année, l'événement accueille près d'un million de visiteurs venus de tous les coins du monde. Le carnaval s'est donné comme mission de mettre en valeur la beauté de hivers québécois afin que tous partagent les plaisirs qui y sont liés. Après 47 années d'existence, le carnaval de Québec porte les traditions propres à tous les grands carnavals urbains : défilé de nuit, déguisements, bal costumé, boisson alcoolisée (caribou) et trompette de tintamarre.

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