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Clin d’œil sur nos traditions

L'hiver québécois motive les déplacements depuis fort longtemps. Si l'on s'expatrie aujourd'hui le temps d'une saison pour fuir le froid, plusieurs cultivateurs des XIXe et XXe siècles l'affrontent et se dirigent plus au nord dans les forêts pour y travailler tout l'hiver. Après les récoltes du mois d'août, ces hommes de la terre s'improvisent bûcheron pour les cinq ou six mois à venir. Pour ces travailleurs saisonniers, l'exploitation forestière devient une source de revenu nécessaire. En 1930 par exemple, le salaire d'un bûcheron se situe autour d'un dollar par jour et les conditions de travail sont pénibles. Jusque là, les hommes se servent d'une hache pour couper le bois. Ils remplacent cet outil par le godendart, une scie d'environ 1,8 mètres de long qui doit être manœuvrée par deux hommes. Apparaît ensuite le sciotte, ou bock saw en anglais, qui permet au forestier de travailler seul. Il faut attendre 1950 pour que les hommes reposent leur dos et leurs bras et laissent la scie mécanique travailler un peu pour eux.

Les journées du bûcheron commencent à l'aube et ce n'est qu'une fois la pénombre installée qu'on rentre au camp. La vie en forêt, essentiellement masculine, est non seulement exigeante sur le plan physique, mais aussi sur le plan moral. Loin de leurs femme et enfants, les hommes de chantier doivent trouver le moyen de tromper l'ennui. Ensemble, ils se divertissent comme ils le peuvent en jouant aux cartes, en chantant ou en se racontant des histoires avant que ne s'éteignent les lampes vers 21 heures. Le samedi soir, les bûcherons peuvent veiller plus longtemps puisqu'ils ont congé le lendemain. Ils en profitent alors pour bricoler ou pour chasser et pêcher. De temps à autres, le cuisinier prépare un repas de gibier ou fait cuire le poisson attrapé par les bûcherons dans leur temps libre, mais les hommes se nourrissent surtout en fonction des efforts physiques à donner. Pour tenir le coup toute la journée, il n'est pas rare que des crêpes, du gruau, des cretons et des fèves au lard se trouvent dans leur assiette le matin. La nourriture servie est aussi choisie selon la disponibilité et le coût des aliments. À l'heure du dîner, les travailleurs mangent dehors au pied des arbres : du lard bouilli avec une tranche de pain trempée dans la mélasse pour dessert sont fréquemment au menu.

En général, la boisson est interdite dans les camps, mais les hommes s'en procurent tout de même et en abusent parfois. Ils font aussi des abus de langage et sont réputés pour les blasphèmes qu'ils enlignent dans une phrase. Le milieu de vie dans lequel baignent les forestiers est très difficile et endurcit quiconque s'y trouve. «Monter au chantier» pour la première fois représente d'ailleurs un véritable rite de passage à l'âge adulte. Les garçons ont en moyenne quinze ans lorsqu'ils quittent la maison pour passer l'hiver aux côtés de leur père. De retour au printemps, ils sont des «hommes viriles», forts de leur expérience de travail dans le froid et l'éloignement. Difficile, la vie des hommes de chantier. Leur réalité a d'ailleurs marqué l'histoire et l'imaginaire des Québécois. Plusieurs chansons de tradition orale reflètent le mode de vie dans les camps. Les thèmes chantés vont de l'alimentation à l'habitation en passant par les contraintes de la vie communautaire et l'ennui. La légende de la chasse-galerie rappelle aussi un épisode où des bûcherons, pour profiter des réjouissances du temps des fêtes et être auprès de leur douce, ont fait un pacte avec le diable qui leur a été fatal. Le folklore québécois regorge de nombreuses variantes de récits de chasse-galerie où des bûcherons ont volé à travers les airs en canot aux quatre coins de la province car il y avait des chantiers un peu partout.

 

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